État des Lieux - Qu’est ce que la VR ?
Un programme en réalité virtuelle, c’est un programme écrit et réalisé pour être vécu au moyen d’un casque de Réalité Virtuelle ou HMD (Head Mounted Display), même s’il peut se vivre (de manière différente et souvent dégradée) grâce à une souris, une tablette ou un téléphone.
C’est un changement de la position du téléspectateur qui n’est plus devant son téléviseur, mais qui se retrouve au centre du programme.
La spécificité du support de diffusion de la VR est de tendre à recréer un espace réaliste du point de vue perceptif. Le corps retrouve les clés de perception sensorielle qui sont la base du schéma de perception de notre environnement, en stimulant de manière cohérente différents sens tels que le visuel et l’auditif.
En ce sens, le fait de permettre au téléspectateur ne serait-ce que de se tourner et de voir son univers sonore et visuel évoluer avec son mouvement, change radicalement sa position face à un programme. Il ne regarde plus un programme tel un téléspectateur extérieur, Il est, de par sa position, totalement impliqué au récit, il se retrouve dans le programme.
Ce changement radical de paradigme quant au positionnement physique du téléspectateur, qui lui même engendre un positionnement émotionnel différent, introduit un certain nombre de spécificités, tant sur le plan technique que narratif.
Écrire pour la réalité virtuelle, c’est transformer l’espace du récit. C’est basculer de l’écran en deux dimensions à la sphère tridimensionnelle, et jusqu’à l’exploration de l’espace non fini dans le cas des contenus en free navigation.
De même, produire techniquement un programme en Réalité Virtuelle implique de prendre en compte tout l’espace visuel et sonore. Il faut anticiper les potentiels mouvements de l’utilisateur et le rendu visuel et sonore associé à chaque déplacement et position.
Les usages liés à la VR
Comment les différentes industries s’emparent-elles de la réalité virtuelle ou mixte et pourquoi ?
Le réalisme
Ces deux dernières années, le domaine de la Réalité Virtuelle, dans lequel nous inclurons la Réalité Augmentée et la Réalité Mixte, a été investi par de nombreuses branches industrielles ou commerciales.
Ainsi on a pu voir l’aéronautique utiliser la Réalité Virtuelle pour former ses pilotes et ses mécaniciens ou pour contrôler des mesures de sécurité. La médecine s’est servie de la VR autant pour la formation de ses personnels que pour aider certains patients à mieux vivre des traitements particuliers, à calmer des douleurs, ou à gérer des angoisses. L’industrie pornographique ne manque pas de créativité dans ce domaine et a produit une profusion des films en 360° auxquels elle rajoute même parfois d’autres stimulations sensorielles.
Quels que soient les objectifs de ces entreprises, on note qu’elles utilisent la Réalité Virtuelle pour sa capacité à plonger l’utilisateur dans un univers réaliste.
Le mettre au centre d’un univers réel ou réaliste dans lequel il est plus simple et moins coûteux de se retrouver virtuellement grâce à un casque plutôt que physiquement. L’objectif premier est donc économique car il permet de fournir une expérience similaire à plusieurs personnes sans avoir à en assumer les coûts.
Améliorer le réel
D’autres domaines tel que le bâtiment utilisent également la Réalité Virtuelle. L’architecture se sert de la VR pour faire des projections de construction ou d’aménagement intérieur. L’immobilier s’en sert pour des visites virtuelles. Les musées ou les villes permettent aux utilisateurs munis de casques, de tablettes ou de téléphones de visiter des lieux en rajoutant de informations personnalisées, des reconstitutions historiques ou des animations : des audioguides améliorés par de la vidéo en quelque sorte. Ces applications qui se superposent à la réalité pour la modifier, l’améliorer ou la récréer, utilisent la VR pour sa capacité à enrichir le réel.
Ainsi il est possible de visiter le palais des papes d’Avignon en profitant des meubles et des décorations disparues depuis, grâce à une appli de Réalité Augmentée sur tablette, qui donne à voir une fenêtre du passé sur le réel.
La borne de VR en libre service Timescope, installée place de la Bastille, permet aux utilisateurs de remonter le temps à leur guise sur une time line qui leur proposera de redécouvrir le lieu où ils se trouvent, en 360°. On ne propose pas un changement de point de vue, mais un changement d’époque. L’audio bien entendu est intégré à l’expérience.
On notera que dans ce cas encore la VR permet à moindre coût, d’anticiper des projets en construction et a un intérêt économique certain.
Inventer de nouveaux mondes
Mais la Réalité Virtuelle n’est pas toujours utilisée par soucis d’économie. Elle est également utilisée pour créer des mondes imaginaires, donner des sensations, raconter des histoires et générer des émotions.
La VR fait aussi partie du monde du divertissement : vendre du rêve, éveiller, émerveiller.
C’est le cas de certains jeux vidéos, des fictions racontées par des cinéastes : Cinematic VR, des programmes documentaires écrits par la télévision et qui utilisent la VR pour changer le rôle, le positionnement du téléspectateur à l’histoire.
La VR dans sa spécificité d’inversement des rôles par rapport au téléviseur, parle au spectateur de manière totalement différente. L’utilisateur peut se percevoir comme visible par les protagonistes de l’histoire, au centre, impliqué, touché différemment. Qu’il soit actif ou passif, il peut prendre la place d’un protagoniste.
Ainsi, Notes on blindness propose une expérience inédite. Elle a été créée d’après les témoignages et le journal de John Hull, qui a perdu la vue petit à petit et a expliqué étape après étape, comment il peut voir grâce aux sons qu’il entend.
Le spectateur muni d’un casque de VR, écoute la voix de John Hull, tout en visualisant comment un aveugle se construit des images mentales à partir de ce qu’il entend. Comment un arbre n’est visible que si ses feuilles bougent avec le vent, que seuls les éléments sonores ont une existence pour lui, et pourquoi « un jour où il fait beau » et une journée bruyante et ventée, car le vent, tout comme toutes les autres stimulations sonores, trace les contours des formes du monde qui l’entoure et lui permet de voir avec ses oreilles.
Ce type de programme bien que déjà actuel car produit aujourd’hui, n’a pas fini d’évoluer et de se développer. Les productions commencent à se diversifier mais la grammaire n’est pas écrite, les codes sont sans cesse bousculés, les seules limites sont techniques, mais sont repoussées jour après jour, de sorte qu’il soit impossible de savoir quelles étapes seront franchies dans un an et encore moins dans quelle direction.
Les techniques de fabrication bien qu’utilisant les technologies les plus en pointe du moment (motion capture, rendu 3D, binauralisation, retour haptique, etc.) sont inventées, détournées et bidouillées en fonction des besoins, et des envies de provoquer certaines sensations.
Plus d’un siècle après Méliès, des passionnés, poussent les limites de la création pour raconter leurs histoires, toucher leur public autrement. Ils testent, tentent, modifient et font évoluer les créations. Les standards et les formats universels n’existent pas et sont pour l’instant difficile à anticiper tant on ne sait pas encore ce que deviendra ce nouveau média.
Comment la télévision utilise t-elle la VR ?
La télé peut-elle produire de la VR sans se trahir ?
L’intention éditoriale est ce qui définit un type de programme. Ce ne sont ni les moyens techniques mis en œuvre ni le support de diffusion qui définissent sont appartenance à un média ou à un autre.
La Réalité Virtuelle, c’est un moyen d’impliquer le téléspectateur différemment, en changement littéralement son point de vue. Lui permettre de comprendre autrement, de l’émouvoir, ou de l’informer.
Ainsi la télévision peut maintenant produire des documentaires linéaires qui passent sur une chaîne de télévision, tout comme produire une installation in situ. The Enemy est une installation dans laquelle le spectateur, dans un lieu dédié et muni d’un casque de VR et d’un sac à dos, partira à la rencontre de guerriers ennemis et se retrouvera en face à face, dans un dialogue à trois. Il sera à la fois le médiateur passif tel un psychologue de la douleur. Ainsi il récolte la parole, et surtout, il est le troisième personnage du triptyque, celui à qui l’on s’adresse, car ces ennemis ne peuvent pas encore se parler. Sans lui, ce dialogue n’a pas lieu. S’il ne les regarde pas, la rencontre n’existe pas.
Un changement total de paradigme
De la passivité à l’interactivité – de la Simultanéité au Replay / VoD : changement de paradigme ou simple évolution technologique ?
Changement ontologique ou simple évolution technologique ?
On a tendance à penser que l’interactivité proposée aux utilisateurs est une nouvelle tendance qui bouleverse les codes de la télévision qui pourtant à ses débuts est un modèle de passivité.
À l’époque son modèle de diffusion, c’est du un vers tous : je fabrique un programme que je diffuse en direct ou en différé. Ce programme est reçu en temps réel par autant de personnes qui le souhaitent simultanément.
Le téléspectateur est passif la plupart du temps.
On peut pourtant penser que cette passivité intrinsèque du téléspectateur devant son téléviseur n’a pas toujours été un objectif en soi, mais une contrainte subie en raison de freins techniques.
En observant les programmes télévisés, on se rend compte qu’il y a eu une multitude de tentatives d’inclure le téléspectateur dans le programme. Ces tentatives ont eu plus ou moins de succès et proposaient des interactions parfois limitées. Soit car il n’était possible d’impliquer qu’un nombre restreint de téléspectateurs, soit car l’interaction était limitée.
Voici quelques exemples emblématiques de tentatives d’implication du téléspectateur :
Télétactica, diffusés sur Antenne 2 dans l’émission Récré A2. Cette émission permettait aux enfants de faire des découpages et de les coller à leurs téléviseurs. Grâce à l’électricité statique, les bouts de papier tenaient tout seuls sur le téléviseur.
C’est d’ailleurs également une des premières formes de transmedia. Un magazine associé proposait des feuilles prédécoupées pour faciliter l’expérience.
Autre exemple assez différent mais qui nécessitait un engagement physique du téléspectateur devant sa télévision, l’émission Gym tonic (1982 à 1984) restée culte, cette émission proposait de faire faire du sport aux téléspectateurs en tenue de sport devant leur télévision.
Enfin, dernier exemple, en 1992, l’émission Hugo délire, proposait aux téléspectateurs de téléphoner et d’interagir en direct grâce aux touches de leur téléphone en fréquence vocale. Ils pouvaient alors piloter une voiture en direct sur le plateau. Non seulement ils agissaient, mais ils interagissaient puisque leurs actions étaient visibles à l’antenne.
On peut aussi considérer dans une moindre mesure que, quelque soit l’émission de jeu avec la participation des téléspectateurs, ou en présence de téléspectateurs dans le public est une tentative d’impliquer et de faire entrer le téléspectateur dans le programme. Par identification, ce type de programme, tels que les jeux télévisés ou même les émissions de téléréalité, sont, d’une certaine manière des programmes impliquant le téléspectateur.
Quant à la question de la simultanéité de la diffusion, on se rend compte que dès qu’il a été possible d’enregistrer des programmes, presque tous les foyers se sont équipés de magnétoscopes, pour avoir le loisir de regarder un programme quand ils le souhaitaient ainsi que de le re-regarder. Les vidéos clubs ne sont tombés en désuétude que tard, lorsque la VoD et le téléchargement (légal ou pas) ont fait leur apparition. L’ambition de pouvoir contrôler son flux télévisuel a toujours existé, même si elle n’a été rendue possible et simple que récemment.
Une opportunité à saisir
La réalité virtuelle est-elle un atout pour bouleverser les codes de la narration et transformer la relation entre le téléspectateur et le média ?
L’évolution des technologies nous permet aujourd’hui d’impliquer de plus en plus le téléspectateur, la Réalité Virtuelle en est un des exemples flagrants. En changeant le paradigme de la passivité, et en remettant le téléspectateur au centre de l’action.
Dans le cas des contenus en VR, le téléspectateur peut avoir une expérience personnalisée dans laquelle il sera actif et pourra interagir avec l’environnement.
C’est l’intention éditoriale qui définit le genre et l’objectif d’un programme : raconter une histoire, divertir, éduquer ou informer.
La Réalité Virtuelle, c’est un moyen supplémentaire d’impliquer le téléspectateur, de lui permettre de comprendre différemment, de l’émouvoir ou de l’informer.
Autrefois, Les émissions qui impliquaient le téléspectateur, donnaient aux gens des indications sur ce qu’ils devaient faire : bouger, jouer, découper. Maintenant c’est eux qui prennent la main, ils deviennent non seulement actifs, mais en plus ils prennent des décisions. Le programme Tantale, produit par France Télévisions (en 2016) est un exemple d’interactivité dans lequel, les actions de l’utilisateur (ses décisions) influent sur le déroulement de l’histoire.
Une autre forme de socialisation
La Réalité Virtuelle nous destine-t-elle à vivre seul et isolé dans une bulle ou est-ce une étape vers une autre forme de divertissement, de création et de socialisation ?
Alors que la télévision est vue comme un média de masse fédérateur, les détracteurs des nouvelles technologies tels que la VR ou les médias interactifs ont tendance à critiquer le risque du syndrome Otaku (renfermement sur soi des adolescents geeks japonais)
Cependant de nombreux exemples viennent renverser cette idée. Tout d’abord car il existe des salles de Réalité Virtuelle dans lesquelles les jeunes et les familles se retrouvent pour vivre ensemble leurs premières expériences de Réalité Virtuelle. Certaines de ces expériences sont d’ailleurs à vivre à plusieurs. Ce sont soit des expériences sociales, soit des expérience en équipes qui stimulent l’esprit de groupe, les actions collaboratives ou l’entraide.
Vivre une expérience personnelle n’est pas toujours synonyme de recentrage ou de renfermement sur soi. De nombreuses expériences permettent de stimuler l’empathie, de se rapprocher de l’autre parfois encore inaccessible en réel. L’expérience Carne y arena propose de vivre 6 minutes avec des migrants qui passent la frontière. Ceux qui l’ont vécue, les pieds dans le sable, le vent dans le visage, en sont sortis transformés. Comme une démonstration de la capacité sans équivalent de la VR à faire prendre conscience de l’autre. En se projetant dans sa vie, dans son corps et dans sa tête. L’image de présentation de Carne y Arena est un cœur, avec ses ventricules et ses artères, ce cœur renvoie autant au corps qu’à la personne qui peut s’émouvoir et ressentir. Le spectateur devient sujet.
L’audiovisuel un média trop minimal ?
La VR, une opportunité de développement pour l’audiovisuel ?
La réalité virtuelle, c’est l’ensemble des dispositifs permettant de s’immerger au sein d’un environnement en 3D virtuel, grâce à un casque de réalité virtuelle ou HMD (head mounted display)
L’impression d’immersion est encore accrue par la capacité de l’utilisateur à interagir avec cet environnement via des stimuli non seulement visuels et auditifs, mais également haptiques tels que la simulation de la sensation de toucher ou de retour de force : kinesthésie. D’autres sens peuvent être stimulés plus rarement tels que l’odorat ou le goût. La sensation de vivre une expérience réelle devient alors extrêmement troublante.
Dès lors que l’utilisateur a la capacité de se mouvoir dans un univers visuel et sonore, grâce aux mouvements de son corps, il stimule plus que son ouïe et sa vue. Il fait aussi appel à la sensation de son corps dans l’espace et à ses pieds sur le sol. On peut donc considérer que la version la plus épurée techniquement de la vidéo 360° ou Réalité Virtuelle offre plus en terme de stimulation sensorielle qu’un film de cinéma ou une émission télévisuelle.
Grace aux technologies actuelles, la télévision n’est plus soumise exclusivement à la diffusion de programmes linéaires sur des téléviseurs. La multiplicité de ses canaux et de ses modes de diffusion, et ne s’interdisant pas des installations présentielles, la télévision en tant que producteur de programmes peut ainsi utiliser tout ce qui est permis par les nouvelles technologies et ne s’en prive pas en explorant toutes les pistes, quitte à les abandonner plus tard s’il s’avère qu’elles ne rencontrent pas ou pas encore un public.
Ainsi, différents types de programmes tels que le sport, l’info, le documentaire ou la fiction utilisent la VR pour toucher différemment son public. Les modes de visionnage de ce type de contenus peuvent être divers, qu’ils soient possibles à l’aide de téléphones, de tablettes, d’ordinateurs ou de casques de VR, on parle de Réalité Virtuelle comme le mode de visionnage d’un programme dans lequel l’utilisateur se retrouve au centre de l’univers qui lui est proposé et peut s’y mouvoir sur un axe rotation.
On ne parle donc pas ici de décors virtuels, ou « Réalité Augmentée » sur les plateaux télé. Terme qui désigne un procédé d’effets spéciaux ou de synthèse d’image en temps réel sur une image live. Lire l’article : Réalité Augmentée et décors virtuels à France Télévisions
Bien que le rendu du programme au moyen d’un casque de VR in situ, soit le Graal qui permette de profiter d’une création de la manière la plus respectueuse de l’intention initiale, les créateurs imaginent d’autres moyens de faire vivre ces expériences.
Ainsi, The Enemy possède une application de Réalité Augmentée qui permet aux détenteurs de Smartphones de voir apparaître dans leur environnement réel les guerriers qui ont posé et répondu aux questions de l’exposition citée plus tôt.
La projection des téléspectateurs, (dans le sens où il est à la fois en immersion et que s’opère un processus d’identification) dans un monde, face à des personnes qu’ils vont rencontrer peut se faire à condition qu’ils aient une faculté d’abstraction et de projection dans cet univers. Il est nécessaire d’en accepter les codes, de jouer le jeu. Cette projection même inhabituelle encore, n’est rien comparée à celle que l’on opère à la lecture d’un roman, qui ne fait que décrire des situations, que grâce à notre imaginaire nous traduisons en images, en actions, et que nous finissons par vivre.
À la différence des livres, ce qui fait que ces processus « dégradés » car non immersifs technologiquement, soient des programmes appartenant à l’univers de la VR/AR/MR c’est le fait de ne pas présenter le programme dans son intégralité, de manière frontale. La découverte de l’univers se fera en fonction des déplacements initiés par l’utilisateur, qui, même s’il n’est pas muni de casque de VR, n’aura qu’une vision partielle du contenu et découvrira l’univers à sa guise au fil de la narration.
Ce processus d’immersion par projection est très connu de l’univers des jeux vidéo.
Dans les jeux vidéo il existe deux types de projections dans le personnage : L’identification peut se faire par le biais d’un avatar dont on contrôle certains mouvements (TPS : third personnal shooting) où le point de vue allocentrique (on voit le personnage qu’on incarne) ne suppose pas l’acceptation du corps de l’autre comme étant son propre corps, mais nécessite cependant une projection suffisante pour pouvoir le contrôler.
L’autre mode d’identification se fait en rendant visible uniquement les mains du joueur (FPS : first personnal shooting) et donne ainsi l’impression que l’on manipule les objets soi même.
Il est naturel de comprendre pourquoi l’univers du jeu vidéo s’est emparé des possibilités offertes par la VR pour immerger le joueur qui en enfilant un casque de VR, et visualisant ses propres mains se retrouve plus facilement immergé et acteur de la narration.
Tout comme il peut exister des expériences « dégradées » ou réduites de Réalité Virtuelle, il existe également des expériences qui poussent les limites de la perception en stimulant un maximum de nos sens.
Ainsi, l’expérience Alice de Marie Jourdren est une expérience que l’on croit vivre seul mais qui est bien plus que ça.
Lorsque vous enfilez votre casque de VR dans un hangar et qu’un homme à tête de lapin s’adresse à vous, vous présente un jeu de carte que vous prenez avec vos mains, que tous les éléments que vous voyez dans cet univers virtuel sont palpables, que ce soient les cartes à jeu, le guéridon ou l’œuf au plat. Que l’on vous propose de gouter un champignon et qu’on vous souffle une fumée sucrée et parfumée à la figure, que vous pouvez voir et sentir, vous avez du mal à croire que l’univers qui vous entoure soit virtuel.
Même lorsqu’après avoir croqué dans le champignon (plutôt sucré et à la texture meringuée) et que vous grandissez (ce qui revient à voir le monde autour de vous rapetisser) de plus en plus, tout vous apparaît très réel.
Le plus troublant dans cette expérience, ce n’est ni ce que vous voyez ni ce que vous entendez, c’est l’interaction que vous avez avec les personnages que vous rencontrez. Les dialogues sont absurdes parfois, tout comme les situations mais l’interaction est réelle.
Les personnages sont en fait des comédiens d’improvisation en motion capture (munis de capteurs sur leurs vêtements). Ils improvisent des conversations avec vous, vous questionnent, vous poussent dans vos retranchements, vos contradictions, vos réticences. C’est une conversation dans laquelle vous êtes une autre : Alice. On vous demande de répondre à des questions. Allez vous répondre pour Alice, pour vous même ? Allez-vous jouer un personnage ? Qu’y a-t-il de vous dans l’Alice que vous faites vivre ?
Vous êtes au centre de l’histoire, cette histoire est la vôtre, elle n’est que pour vous, Oui. Mais elle se vit grâce à d’autres qui participent intensément à cette création. Elle vous questionne comme rarement cela arrive.
Un autre facteur important à noter, est que pour vivre pleinement cette expérience, il faut accepter de faire confiance. On lâche tous ses repères sensoriels, on plonge dans un monde dont on ne connaît pas les codes, les barrières tombent une à une jusqu’à parler de soi à un inconnu à tête de chenille dont on ne sait rien et qui nous crache sa fumée au visage.
On en sort transformé, bouleversé, on a vécu autre chose, quelque chose qu’il est ensuite difficile de partager, c’est la difficulté de raconter un rêve, qui appartient à soi.
La VR est un média en tant que tel, elle ne remplacera pas la télé comme le cinéma n’a pas remplacé le roman, la radio n’a pas remplacé les concerts.
La culture, le divertissement ou l’information devront désormais faire avec un autre média, dont les codes de la narration restent à inventer, les possibilités sont immenses et une question sur l’éthique devra être abordée.
On parle à l’intime et on implique le corps tout autant que l’esprit, la question du consentement et des limites sont importantes à définir pour la suite.
De nouvelles questions éthiques ?
Où est la frontière entre simulation du réel et manipulation du spectateur ?
Les questions éthiques ont eu leur place dès que l’on a créé un contenu destiné à être vu, et d’autant plus vécu. La légende dit que les premiers spectateurs du célèbre film « Arrivée d’un train en gare de Ciotat » des frères Lumière auraient fuit à l’arrivée du train, craignant qu’il ne soit réel.
Au delà de l’aspect romanesque de ce récit qui a parfaitement rempli sa fonction, en rendant légendaire cette séance, la question de la réception d’une œuvre par un spectateur est cruciale. Elle l’est d’autant plus que l’on a l’ambition d’immerger l’utilisateur dans un univers (onirique ou réaliste) qui fait appel à ses fonctions perceptives naturelles. Dans ce sens, on lui fait vivre des sensations réelles même si le monde dans lequel il se projette est irréel.
Les émotions au cinéma peuvent être immenses, elles sont décuplées si tous les sens sont stimulés et qu’en plus, on s’identifie comme un des protagonistes.
Les programmes proposant de l’interaction en sont à leurs balbutiements. Dans le premier cas de figure, l’interaction est scénarisée, et jouée par des personnes en motion capture comme dans Alice. Dans ce cas là, l’interaction est totale et bluffante : On doit accepter de faire confiance à des personnes et rentrer dans la narration proposée.
Deuxième cas de figure, le plus courant de loin : l’interaction est définie à l’avance par des règles, et donc programmée. Dans The Enemy, les personnages vous suivent du regard et ne parlent que lorsque vous prêtez attention à eux, ils ont un mouvement de recul si vous les approchez de trop près. L’interaction est réelle mais les clés sont vite assimilées et on comprend assez vite quels sont les codes implicites de l’interaction. Il suffit de faire quelques « tests » pour comprendre à quel moment notre interlocuteur s’arrête et reprend, recule ou tourne la tête. Le fait de comprendre les clés d’interaction rapidement n’est pas un problème pour croire à la réalité, c’est même une condition assez rassurante pour les utilisateurs qui aiment savoir un minimum ce qui les attend.
Si ces codes ne sont pas compris tout de suite par les utilisateurs, et cela peut être un effet voulu, mais qui sera à manipuler avec parcimonie, et en connaissance de cause, car les utilisateurs ne sont pas de simples spectateurs. Ils vivent cette expérience avec tous leurs sens, leur corps. Les émotions qu’il ressentent sont brutes, sans le filtre du recul que l’on peut avoir facilement devant un téléviseur, ces émotions sont bien réelles.
Les progrès récents en Intelligence Artificielle laissent supposer que le champ des possibles est immense en terme d’interaction homme machine, y compris lorsque la machine sera un personnage humanisé dans un univers créé en VR. La question des limites à poser est d’ores et déjà d’actualité tant les sujets abordés sont intimes ou graves. C’est en créant que les frontières vont apparaître. La télé, le cinéma se sont toujours arrangés avec le réel. Il faut parfois améliorer, modifier l’image, les sons pour rendre compte d’une situation.
En VR, c’est la même chose sauf que l’on change le monde dans le lequel on met notre spectateur et pas celui qu’on lui montre, la différence est de taille.