« MBS, l’Arabie du futur »

Le coût de la fête

France 5

Documentaire

Depuis dix ans, le prince Mohammed ben Salmane, se rêvant en leader du monde arabe, entreprend de transformer l’austère et rigoriste royaume saoudien. Côté face : une utopie festive et futuriste. Côté pile : autoritarisme et répression des opposants. Un documentaire de Walid Berrissoul, suivi d’un débat présenté par Mélanie Taravant. Dans « Le Monde en face », dimanche 19 janvier à 21.05 sur France 5.


Il n’y a pas si longtemps, les choses étaient assez simples : les Saoudiens pompaient du pétrole, le vendaient, empochaient l’argent et recommençaient. Des vieillards régnaient sur ce richissime berceau de l’islam. La police religieuse, bras armé du Comité pour la prévention du vice et la promotion de la vertu, veillait de façon tatillonne sur les bonnes mœurs de ses habitants. En une décennie, un jeune prince de seconde zone, Mohammed ben Salmane, dit MBS, dirigeant de facto de l’Arabie saoudite, a bousculé tous les piliers de ce royaume hors norme, grand comme cinq fois la France, premier exportateur mondial de brut et dont les deux tiers des habitants ont moins de 30 ans.
Le chemin était loin d’être tracé, pourtant. Jeune fils du prince Salmane – lui-même seulement troisième dans l’ordre de succession –, sans ascendance royale du côté maternel, MBS n’avait guère de chances d’accéder un jour à la tête du clan Saoud. Les hasards dynastiques, une bonne connaissance des rouages de la cour et sans doute un vif désir de revanche en ont décidé autrement. Lorsque le vieux Salmane accède au pouvoir en 2015, il est cependant contraint par la famille de nommer prince héritier son neveu Mohamed ben Sayef, lié au milieu du renseignement occidental, son rejeton devant se contenter du titre de vice-prince héritier, mais tout de même de quelques postes clés. Avant d’écarter son rival, MBS lance en 2016 la « Vision 2030 », le plus grand programme de réformes qu’ait connu l’Arabie saoudite, avec deux objectifs : moderniser le royaume et le sortir de son addiction au pétrole. 
Il s’agit rien de moins que de transformer les Saoudiens de sujets du royaume providence en citoyens-entrepreneurs. En clair : les mettre au travail en échange d’une vie moins contrainte par les règles religieuses. Or, l’Arabie saoudite s’est construite sur une alliance et un compromis entre des princes et un clergé wahhabite extrêmement rigoriste. Aux premiers, l’économie et la défense, au second la santé, l’éducation et la justice. MBS, très habilement, a vu l’opportunité de remplacer l’autorité de leaders religieux conservateurs par d’autres valeurs qui donnent à son père et à lui une nouvelle légitimité et un pouvoir renforcé.

Tout le monde aime MBS... ou en tout cas le dit

Jadis plutôt rigide, l’Arabie de MBS s’affiche désormais résolument moderne, bouillonnante, festive. Elle construit des hôtels de luxe, attire les influenceurs, les stars du cinéma, de la musique et du divertissement international, parle des droits des femmes, organise des festivals de musique techno, accueillera l’Exposition universelle en 2030, la Coupe du monde de football en 2034… Le prince, amateur de jeux vidéo et de science-fiction cyberpunk, dit-on, s’est lancé dans des projets pharaoniques, comme celui d’une ville de 170 km de long – The Line –, sans rues et sans voitures, une « révolution civilisationnelle » qui doit changer le visage de la région de Tibuk, grande comme la Belgique. Bref, tout le monde aime MBS… ou en tout cas le dit. Et c’est en effet plus prudent.
Car les coulisses de ce spectacle son et lumière sont moins reluisantes. Si les dignitaires wahhabites ont dû en rabattre – MBS, diplômé en droit coranique, est un interlocuteur de taille –, la police religieuse n’a pas été pour autant supprimée et critiquer le prince est désormais un péché ! Au moment où il accordait aux Saoudiennes de pouvoir conduire une voiture, MBS emprisonnait à tour de bras les militantes qui réclamaient des droits pour les femmes. Le projet The Line s’accompagne d’expropriations violentes de villages entiers de la tribu Howeitat, d’assassinats, de peines de 15 à 50 ans de prison contre les récalcitrants. En 2017, l’horrifique assassinat de l’opposant Jamal Khashoggi en Turquie avait montré un autre visage du jeune prince « moderne », par ailleurs embourbé dans une interminable et meurtrière guerre sans gloire contre les Houthis du Yémen. En 2024, le royaume a battu un macabre record avec plus de 300 exécutions capitales.
Une fête, donc, mais à quel prix ? Et une modernisation bien ambiguë. Du reste, les étrangers attirés par le softpower saoudien viennent à Riyad pour chercher de l’argent, pas pour investir, et le projet The Line a du plomb dans l’aile et a dû être revu à la baisse. Il faut être un peu myope pour se laisser encore prendre à cette « Vision 2030 ». La sortie des énergies fossiles ? Elle n’est pas pour demain. Les Saoudiens continuent de pomper, de vendre et d’encaisser… et préparent les esprits à des solutions plus « pragmatiques ».

MBS, l'Arabie du futur
« MBS, l'Arabie du futur ».
© Maximal Productions

MBS, l’Arabie du futur

À travers une immersion rare dans un pays en pleine transition, ce film propose une enquête inédite dans les coulisses de la « Vision 2030 » d’un prince héritier aussi ambitieux que controversé. Se rêvant en leader d’un monde arabe stable et prospère, MBS entreprend de transformer l’austère et rigoriste Arabie saoudite en une utopie futuriste. Mais l’essor du tourisme, du divertissement et la démesure des chantiers peinent encore à faire oublier l’autoritarisme et la répression des opposants. Quant à la mise en sourdine de la police religieuse, elle n’a pas mis fin à l’oppression des femmes. Ses supporters, ses contempteurs, ainsi que des acteurs et observateurs de premier plan dressent le portrait vertigineux de cette Arabie du futur entre utopie et dystopie, qui pourrait bien changer la face du Moyen-Orient.

Documentaire (2025 – Inédit – 70 min) – Présentation Mélanie Taravant – Réalisation Walid Berrissoul – Production Maximal Productions (Groupe Mediawan) – Avec la participation de France Télévisions

Dimanche 19 janvier à 21.05 dans Le Monde en face sur France 5
À voir et revoir sur france.tv

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Publié par Christophe Kechroud-Gibassier le 10 janvier 2025