« Les Antilles empoisonnées, la banane et le chlordécone »
Scandale écologique et sanitaire
France 3
Documentaire
90 % des Guadeloupéens et des Martiniquais aujourd’hui contaminés : c’est un scandale sanitaire d’État dont on n’a pas fini de mesurer l’ampleur. Interdit ailleurs à cause de son ultra-toxicité, le chlordécone a pourtant arrosé les bananeraies antillaises pendant plus de vingt ans, au bénéfice d’un système économique hérité du colonialisme. Le film de Nicolas Glimois remonte aux origines de cette tragédie. À voir lundi 4 novembre à 23.00 sur France 3 et sur france.tv.
La logique qui a prévalu, c’est le fric avant la santé.
Harry Durimel, avocat de parties civiles
Le 2 janvier 2023, l’incrédulité, l’amertume et la colère s’abattent sur les Guadeloupéens et les Martiniquais. Le tribunal judiciaire de Paris vient de prononcer un non-lieu à l’issue du procès pour l’affaire du chlordécone. La mise en danger d’autrui tombe sous le coup de la prescription.
Et pourtant, depuis plusieurs décennies, les Antillais connaissent et subissent à grande échelle les conséquences vertigineuses de l’utilisation de ce pesticide ultra-toxique : troubles neurologiques, hausse des cancers de la prostate, prématurité des bébés… Sur les deux îles, la pollution des sols et des cours d’eau est quasi totale, et cela pour des siècles.
La dangerosité du chlordécone était cependant bien connue depuis le milieu des années 1970. Comment a-t-on pu autoriser son utilisation sur ces territoires ultramarins jusqu’à la fin des années 1990, au mépris de la santé de centaines de milliers d’habitants ?
Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut remonter à l’après-guerre. Les Blancs créoles et grands propriétaires – qui possèdent 90 % des terres agricoles de Guadeloupe et de Martinique – sont soumis à la concurrence en métropole de la betterave sucrière. Ils décident de convertir leurs plantations de canne à sucre en immenses bananeraies, promesse de plus grands rendements. « Le socle de cette économie de plantation, explique Maël Lavenaire, historien spécialiste des inégalités raciales, c’est qu’elle est destinée à enrichir sur le plan économique la métropole. » Face à la concurrence africaine, le général de Gaulle au pouvoir favorise « le pétrole des Antilles » et l’emploi qu’il génère.
Problème : le charançon noir est un parasite redoutable pour la survie des bananiers, dont la production intensive ne peut être entravée. Qu’à cela ne tienne : le Kepone, un puissant pesticide peut en venir à bout. Aux États-Unis, la toxicité de sa molécule – le chlordécone – le réserve à des cultures non alimentaires.
On a vraiment l’impression que nous sommes des Français entièrement à part au lieu d’être français à part entière.
Jean-Marie Flower, écologue
Reconnu comme un « polluant organique persistant », son homologation par le ministère de l’Agriculture français est rejetée à deux reprises. Et pourtant… en 1972, le ministre de l’Agriculture, Jacques Chirac, délivre une autorisation de mise sur le marché (AMM) provisoire. Les riches créoles ont toujours su entretenir les relations politiques qui pouvaient leur servir en métropole…
En 1975, un scandale sanitaire secoue l’industriel qui fabrique le Kepone aux États-Unis : l’usine est fermée et le pesticide totalement interdit.
Mais les planteurs antillais s’accrochent aux derniers stocks. À la fin des années 1970, les bananeraies détruites par deux cyclones subissent le retour du charançon. Le brevet du chlordécone est alors racheté par une entreprise martiniquaise, dirigée par le président du syndicat des planteurs, qui le fait fabriquer au Brésil. En 1981, contre toute attente, le nouveau pesticide Curlone obtient l’autorisation française d’être commercialisé. Il ne sera interdit qu’en 1990 mais encore utilisé jusqu’à l’aube des années 2000…
Le responsable, c’est l’État : ce sont les services de l’État qui ont donné un feu vert… Les lobbies, il y en a toujours, mais le rôle de l’État, c’est de passer outre ces pressions.
Luc Multigner, épidémiologiste, auteur des premières études sanitaires sur le chlordécone
« Les monocultures d’exportation se sont développées au détriment de l’agriculture vivrière. Et on a abouti à ce paradoxe total : on a des dizaines de milliers d’hectares qui servent plutôt à l’exportation, et comme on n’arrive pas à produire la nourriture localement, on est obligés d’importer 80 % de ce qu’on consomme en Martinique et Guadeloupe. » Jean-Marie Flower, écologue
La Ligne bleue : Les Antilles empoisonnées, la banane et le chlordécone
Documentaire (52 min – 2024)) – Un film de Nicolas Glimois – Production 13 Prods et Vitamine C
Les Antilles empoisonnées, la banane et le chlordécone est diffusé dans La Ligne bleue, lundi 4 novembre à 23.00 sur France 3
À voir et à revoir sur france.tv
« La Ligne bleue », ce sont des histoires à taille humaine qui résonnent en chacun de nous et nous racontent la diversité de la France. Des territoires dans lesquels se jouent, à leur échelle, les enjeux qui traversent notre société. Itinéraires individuels de personnages charismatiques, aventures collectives par-delà les institutions, plongées au cœur d’un territoire en pleine transformation, ce sont les grands enjeux sociétaux que nous voulons montrer par l’expérience, au plus près de ses acteurs.