« Le Ciel de Nantes »
Christophe Honoré livre la chronique mouvementée et déchirante de sa famille
Culturebox
Arts & spectacles
D’un film imaginaire, Christophe Honoré tire une pièce de théâtre tout en mises en abyme et clins d’œil. Une saga familiale qui oscille entre rires et larmes, servie par une troupe d’exception, dans laquelle l’auteur metteur en scène traverse sa propre histoire autant que celle des cinquante dernières années. Dimanche 29 septembre à 21.00 sur Culturebox.
Dans la pénombre ouatée d’un cinéma de quartier des années 1960 résonne les arpèges du Nantes de Barbara (« Le ciel de Nantes, chantait-elle, rend mon cœur chagrin. »). On distingue le velours rouge des fauteuils, la cabine de projection et, bientôt, des silhouettes qui prennent place dans les rangées. Public de cinéma réuni devant un public de théâtre : ainsi débute Le Ciel de Nantes, nouvelle pièce de Christophe Honoré, créé aux Célestins de Lyon en 2022, avant une longue tournée à travers la France. Théâtre et cinéma confondus en un même lieu : le cinéaste met en scène autant qu’il met en abyme, se jouant des mélanges des arts (que, en quatorze longs-métrages et treize pièces et opéras, il pratique depuis plus de vingt ans avec un succès inégalé), autant que des échos avec sa propre histoire. « Bonsoir, dit en effet l’acteur Youssouf Abi-Ayad en s’emparant d’un micro, je suis Christophe Honoré et, depuis des années, je travaille sur un film qui s’intitule Le Ciel de Nantes… C’est un film sur l’histoire de la famille de ma mère, ses parents, ses neuf frères et sœurs… »
C’est ce film que viennent voir les acteurs/spectateurs présents sur scène et dans la salle, un véritable film de famille, donc, tour à tour intimiste, drôle, glaçant, nostalgique, cruel et déchirant, que la troupe n’a de cesse d’interrompre, commenter, rejouer, déjouer, nuancer et dans lequel l’auteur entremêle les récits et les souvenirs de trois générations, liant chronique familiale et chronique sociale, traversant les non-dits, les tabous, les rancœurs de son milieu modeste (homophobie et racisme) aux bouleversements de ces cinquante dernières années (lutte des classes, libération des mœurs, guerre d’Algérie, crise économique, montée de l’extrême droite).
— Souvent, j’ai le sentiment d’être l’héritier, le dépositaire d’un secret auquel je n’ai pas moi-même accès.
Youssouf Abi-Ayad (Christophe) et Julien Honoré (Marie-Do) - « Le Ciel de Nantes »
— Et de faire ce film-là, tu crois que ça va t’aider à le déchiffrer, ce secret ?
— Je n’ai pas fait ce film...
À la manière de Retour à Reims, dans lequel le sociologue Didier Eribon analysait ses sentiments de transfuge de classe renouant avec son milieu populaire, Christophe Honoré entreprend, sur cette scène transformée en cinéma, un bouleversant voyage à rebours vers ses origines, cherchant moins à régler des comptes personnels qu’à témoigner, avec tendresse mais sans concession, des siens, marqués par la mort, les accidents, l’alcool, les violences conjugales, les déplacements forcés – manière de rendre hommage à celles et ceux qui l’ont précédé et qui ont, d’une certaine manière, contribué à forger son œuvre à venir. Avec la complicité de son époustouflante « famille artistique » (Youssouf Abi-Ayad, Harrison Arevalo, Jean-Charles Clichet, Julien Honoré, Chiara Mastroianni, Stéphane Roger et Marlène Saldana), il croque ainsi une détonante galerie de portraits, dominée par les figures de mémé Kiki, veuve de guerre et mère de dix enfants (interprétée par une Marlène Saldana cinglante), de la jeune tante Claudie que, enfant, Christophe Honoré voyait comme une fée (Chiara Mastroianni, poignante en jeune femme fracassée par la vie) ou la figure de Marie-Do, sa mère, interprétée par son propre frère, Julien Honoré, dans un étonnant et émouvant jeu de miroir, sans oublier son propre rôle que tient avec sensibilité Youssouf Abi-Ayad.
Convoquant ses fantômes personnels, Christophe Honoré ne réécrit pas l’histoire familiale, mais se fait fort au contraire de confronter les points de vue, s’affrontant ainsi à chaque vérité, à chaque personnalité, à chaque ressenti. Surtout, comme dans ses films, il n’a pas son pareil pour dénouer les tensions les plus vives par quelques embardées musicales libératrices, citant Sheila, Joe Dassin, mais aussi Depeche Mode et s’autorisant un savoureux clin d’œil à son film Les Chansons d’amour, dont son frère reprend la chanson Les Yeux au ciel, en l’honneur de leur mère. « Chaque seconde est une poignée de terre, chante-t-il. […] Chaque minute est un sanglot. » Troublante épitaphe familiale.
Le Ciel de Nantes
Le Ciel de Nantes, c’est le film que Christophe Honoré n’a jamais tourné. Trop douloureux sans doute, puisqu’il met en scène une partie de sa famille dans un grand déballage, où les colères et les règlements de compte alternent avec les effusions de tendresse et les marques d’amour.
Christophe Honoré a choisi de ressusciter une ancienne salle de cinéma pour y dévoiler un film, Le Ciel de Nantes, devant un public un peu particulier. Dans les travées sont installés plusieurs membres de sa famille maternelle – à une exception près, ils sont déjà tous décédés – impatients de découvrir à quelle sauce « le petit Christophe » les a mangés.
Film intime, Le Ciel de Nantes est aussi, on le comprendra bien vite, un film imaginaire que le réalisateur ne s’est jamais décidé à tourner, comme si ce projet se dérobait à mesure qu’il
souhaitait le construire, comme si à trop vouloir capturer son récit familial celui-ci ne pouvait, en définitive, que lui échapper.
Oscillant entre tragédie et comédie, ce spectacle plonge le spectateur dans une épopée familiale menée par sept comédiens d’exception, dans un décor aussi ingénieux que spectaculaire.
Théâtre (inédit – 142 min) – Captation au Théâtre national de Bretagne - Rennes – Livret et mise en scène Christophe Honoré – Réalisation Julien Condemine – Production Comité Dans Paris & Théâtre Vidy-Lausanne, La Compagnie des Indes
Avec Youssouf Abi-Ayad, Harrison Arevalo, Jean-Charles Clichet, Julien Honoré, Chiara Mastroianni, Stéphane Roger et Marlène Saldana
Le Ciel de Nantes, diffusé dimanche 29 septembre à 21.00 sur Culturebox, est à (re)voir france.tv