Avril 2019, aux abords d’un village de pêcheurs norvégiens, l’étrange silhouette d’un béluga blanc est aperçue, sillonnant les eaux arctiques. L’animal est peu farouche et visiblement habitué à la présence humaine. Rapidement, on découvre qu’il est équipé d’un harnais sanglé avec un dispositif permettant d’y fixer une caméra. Cette région paisible et reculée devient alors l’épicentre d’une énigme géopolitique… À voir dimanche 2 mars à 21.05 sur France 5 et sur france.tv.
Comment se fait-il qu’une baleine que l’on voit rarement sur nos côtes surgisse à côté d’un bateau de pêche avec un harnais ? Il y avait forcément là une histoire à raconter.
Allan Klo, journaliste NRK Norvège
« Je pêche ici depuis plus de vingt ans et je n’ai jamais vu de béluga dans ces eaux. » Ce 25 avril 2019, au large de la petite ville norvégienne d’Hammerfest – considérée comme la plus septentrionale au monde –, Joar Hesten pêche en famille lorsque, « soudain, nous avons aperçu une ombre blanche dans l’eau. Le béluga est venu droit vers moi… D’une certaine façon, j’ai senti qu’il essayait de communiquer. » En s’approchant, le pêcheur découvre que la baleine blanche est prisonnière d’un harnais qu’il va s’employer avec ses collègues à lui ôter. Sur une courroie, une attache pour les caméras sous-marines et une inscription en anglais : « St Petersburg equipment »… « C’est à ce moment-là, se souvient le journaliste Allan Klo, que ce qui devait n’être qu’une simple histoire s’est révélé être quelque chose de beaucoup plus complexe. »
Il s'intéresse donc aux dauphins, dressés par l'armée américaine dans les années soixante, pour des opérations de défense maritime. « Je me suis alors demandé si notre baleine n’était pas liée à un programme militaire. »
À l’époque, il y avait aussi une course à l’espace mais sous les mers.
Dr Bob Bailey, comportementaliste animalier américain
En 1960, en pleine guerre froide, le comportementaliste animalier Bob Bailey est intégré dans un programme de la marine américaine. « J’ai donc appris aux dauphins à porter un harnais » afin qu'ils puissent récupérer des objets sur commande. Le dresseur de dauphins Blair Irvine travaillait également pour l'armée sur des expériences liées au système d'écho-localisation du cétacé. « Les dauphins étaient entraînés à poser des mines sous les navires, alors quand j’ai vu la photo du béluga, je me suis dit que l’histoire se répétait. »
L'ancien capitaine de la marine ukrainienne Andrri Ryzhenko se souvient de cette période soviétique de sa carrière, à Sébastopol, « la base principale de la flotte de la mer Noire ». Il suspecte alors la présence d’un laboratoire de recherches à proximité : « J’ai découvert qu’on y dressait des dauphins, l’accès à cet endroit était très contrôlé. »
En 1967, Bob Bailey accepte de dresser des dauphins en mer dans le cadre d'un projet très confidentiel : « La CIA souhaitait utiliser les dauphins pour la collecte de renseignements. »
Dans cette période de tensions permanentes géopolitiques, « très peu d’endroits dans le monde disposaient d’autant d’armes nucléairesque cette zone côtière située entre la Norvège et la capitale arctique soviétique de Mourmansk », rappelle l'éditorialiste norvégien Thomas Nilsen (TheBarentsObserver), les dauphins y sont transportés mais ne résistent pas au froid glacial. L'armée soviétique s’intéresse alors aux mammifères marins comme le béluga qui, le souligne Andrri Ryzhenko, « possède un très bon sonar grâce auquel il peut détecter aussi bien les saboteurs que les objets sous-marins. »
La marine américaine se passionnait pour les mystères de l’océan parce qu’elle pensait que les Russes faisaient de même. Mais nous n’avons jamais eu d’information précise sur ce qui se passait réellement là-bas.
Blair Irvine, dresseur de dauphins
En ce printemps 2019, la présence du mammifère marin aux abords des îles où le béluga a été repéré attire les visiteurs. Et intrigue les chercheurs comme Eve Jourdain qui rappelle que l'espèce est très sociale et que ses membres vivent en groupe. « Mais celui-là était seul, et il comptait sur les gens pour obtenir de la nourriture. » Sa familiarité avec les humains et ses prouesses – il récupère un jour le portable d'une jeune fille tombé à l'eau – ne font pas de doute pour les spécialistes : « C’était sûr qu’il avait été dressé. » Alors que fait-il loin de sa zone d'élevage ? « Je jouais avec le béluga, se souvient Linn Saether, responsable du tourisme, quand tout à coup nous avons entendu un bruit au-dessus de nos têtes, c’était un drone... Je suis presque sûre qu’il nous filmait. »
Rapidement, la théorie d’un béluga espion au service du Kremlin voit le jour et déclenche l’ouverture d’une enquête internationale qui trouve son origine dans l’ombre de la guerre froide. Une époque où dauphins et autres mammifères marins étaient entraînés par les marines russe et américaine.
L’enquête sur l’origine de ce béluga espion et des archives inédites s’entrecroisent pour révéler une face cachée et jamais racontée de la course militaire que se sont livrée ces deux grandes puissances nucléaires.
Une période révolue. Mais depuis l'accession au pouvoir de Poutine, la Russie s'intéresse de très près aux ressources minières de l'Arctique, objet de toutes les convoitises : « L’Arctique est passé d’une zone de faible tension à une nouvelle militarisation, ainsi qu’à une course à l’armement dans le Nord. »
Le béluga était-il en mission ? Ou s'est-il simplement perdu ? En langue norvégienne, « baleine » se dit « Hval ». Alors, on vous le donne en mille : après consultation auprès de la population, le béluga a été baptisé... « Hvaldimir » !
« Le Monde en face : Le mystère du béluga espion »
Un documentaire inédit suivi d'un débat présenté par Mélanie Taravant, avec Alexandre Soullier, producteur et coréalisateur ; Alexandre Taithe, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) ; Michael Delaunay, chercheur à l’Observatoire de la politique et la sécurité de l’arctique (OPSA), et Jean-Louis Étienne, explorateur.
Le Monde en face
Présenté par Mélanie Taravant – Produit par France.tv studio
Le Mystère du béluga espion
Documentaire (75 min - inédit) – Un film de Jennifer Shaw, Aurélien Biette et Alexandre Soullier – Production Bonne Pioche Télévision, Oxford Scientific Films et Alfred Films, avec la participation de France Télévisions et BBC, avec le soutien de Nordnosk Filmsenter
Le Mystère du béluga espion est diffusé dans Le Monde en face dimanche 2 mars à 21.05 sur France 5
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