Samuel Benchetrit réunit Muriel Robin et Pierre Arditi sur scène pour une savoureuse mise en abyme

Soir de relâche dans l’appartement de Pierre Arditi, empli d’affiches et de scénarios. Assis sur son canapé, l’acteur écoute paisiblement de la musique, profitant, en solitaire, de sa soirée loin des planches. Mais voilà qu’on sonne à la porte. On insiste. D’un pas las, il se résigne à ouvrir et, surpris, accueille Muriel Robin. Il a oublié que, comme chaque soir de relâche, son amie vient dîner chez lui. Il va lui falloir rattraper le coup, sauver la face et, surtout, trouver de quoi manger. Un quiproquo, certes minime, mais comme sait en jouer le théâtre de boulevard, tout en dialogues à double fond et silences gênés. 
Pour autant, ce n’est pas là le plus troublant de la soirée. Car, quelques instants plus tard, les deux acteurs sentent confusément que, ce soir-là, ils ne sont pas seuls. Face à eux, de l’autre côté de l’appartement, là où devrait se trouver une fenêtre, il y a… un public ! Un public qui les écoute, les attend, les espère. Le quatrième mur vient de disparaître. Le dîner en tête à tête perd quelque peu en spontanéité et intimité. « Il va falloir nous laisser tranquilles, là », tente-t-il sur la défensive. « Il faut venir quand on joue, explique-t-elle, mal à l’aise. Là, on ne joue pas, c’est relâche. » Les masques tombent. Et ce qu’on prenait pour une simple pièce de boulevard se mue alors en une détonante mise en abyme. Personnages et personnes se télescopent dans un ballet exaltant que Pierre Arditi et Muriel Robin, gourmands et complices, exécutent en virtuoses. 

– Pierre ? Y a des gens chez toi ! 

– Bah où ça ?

– Là... [...] Y a quoi, normalement ?

– Normalement, y a un mur ! [...] Et qu’est-ce qu’ils font ? 

– Ils nous regardent. On dirait un public... Un public de théâtre.

– À quoi tu vois ça ? 

– Ça ne sent pas la jeunesse !

Muriel Robin et Pierre Arditi dans « Lapin »

Écrite sur mesure pour Muriel Robin et Pierre Arditi, réunis pour la première fois sur scène, Lapin est un régal d’absurdité et de tendresse, mené par l’écriture et la mise en scène au cordeau de Samuel Benchetrit. Comme il l’avait fait avec Arno et Alain Bashung au détour d’une scène de son film J’ai toujours rêvé d’être un gangster, l’auteur à l’humour ravageur s’amuse des échos entre l’aura de ses comédiens et leurs personnalités, brouillant à dessein les frontières entre réalité et fiction, vie privée et publique. La pièce regorge d’allusions plus vraies – et drôles – que nature (dont de savoureux clins d’œil à François Berléand ou Fabrice Luchini) et, véritable théâtre dans le théâtre, se joue des considérations sur le métier, la vie, la scène, le destin, la vocation. Pierre Arditi, tour à tour séduisant, sensible, sombre et râleur, trouve en Muriel Robin, solaire, tout en nuances et autodérision, une partenaire de jeu idéale.
Prévue pour une quarantaine de représentations l’année dernière au Théâtre Edouard-VII, la pièce avait dû être interrompue en raison de problèmes de santé de Pierre Arditi, victime d’un malaise sur scène en novembre 2023. La captation réalisée par Emmanuel Carriau, proposée ce soir sur France 2, n’en est que plus précieuse : elle saisit l’intensité et le plaisir des retrouvailles (de part et d’autre, donc, du fameux quatrième mur) entre le duo et son public, s’imposant comme un vibrant hommage au talent et aux multiples facettes de l’acteur.

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