Qui se souvient du Grand Débat national ? Que sont devenus les 20 000 cahiers de doléances collectés dans les mairies de France en 2019 ? La réalisatrice Hélène Desplanques et le maire d'un village de l'Oise, Fabrice Dalongeville, ont sillonné la France à la rencontre de collectifs de citoyens, de chercheurs, d'élus, avec un espoir tenace : faire publier ces textes et rendre la parole à celles et ceux qui les ont écrits. Lundi 16 septembre à 23.05 sur France 3.
C’était il y a cinq ans. Après un hiver marqué par la crise sociale et des manifestations parfois violentes, le président de la République Emmanuel Macron lançait en janvier 2019 un « Grand Débat national » et invitait les élus à ouvrir, dans toutes les mairies de France, des cahiers de doléances, un exercice de démocratie directe renouant avec une pratique interrompue en 1789 ! Le succès fut immédiat et sans doute au-delà de ce qui avait été imaginé : 200 000 contributions écrites à la main et abordant spontanément les difficultés à vivre, à se loger et à trouver du travail de nombreux Français, la peur du lendemain, les petites retraites, l’amenuisement des transports publics, la désertification médicale, le sentiment d’être abandonné et méprisé... Et puis ? Et puis rien...
Le 15 avril 2019, qui devait être la date de la restitution des résultats de cette consultation, fut celle de l’incendie de Notre-Dame de Paris, et du même coup de l’enterrement en douce du Grand Débat national. Et avec lui d’une prise de parole inédite et éminemment politique. Autant dire que la malchance n’explique sans doute pas tout. Que sont devenus les 19 899 cahiers de doléances collectés ? Ils dorment tout simplement dans les archives départementales – c’est-à-dire qu’ils sont éparpillés dans 101 dépôts différents et qu’il n’existe à ce jour aucune vue d’ensemble ni aucune synthèse nationale disponible.
Pendant plus de deux ans, la réalisatrice Hélène Desplanques est partie à la recherche de ces textes et de leurs auteurs afin de leur redonner une existence publique. Aux archives départementales du Nord, elle a eu la surprise d’apprendre qu’elle était la première personne à solliciter la communication de ces cahiers ! Elle a rapidement croisé sur sa route Fabrice Dalongeville, maire du village d’Auger-Saint-Vincent, dans l'Oise, qui partage les mêmes préoccupations et tente de sensibiliser d’autres élus, maires, députés ou sénateurs, à la question des cahiers de doléances. Ensemble, ils sont allés à la rencontre d’anonymes et de collectifs de citoyens qui se battent pour que ces textes soient enfin reconnus, ainsi que de chercheurs qui commencent à les étudier. De la Creuse à la Meuse, de la Gironde à l’Assemblée nationale, ils ont sillonné le territoire avec un espoir tenace : faire publier les cahiers de doléances et rendre la parole à celles et ceux qui l’avaient prise en 2019.
Les cahiers de doléances ont été remplis par des citoyens qui estiment que la République a encore du sens. Ceux qui ne votaient plus ne se sont pas exprimés. [...] Avec la non-publication des doléances, on prend donc le risque de saper encore davantage la confiance de ceux qui croient en la République. [...] En tant que maire, je me sens trahi. Le président de la République nous a sollicités pour ouvrir nos mairies avec les cahiers de doléances. Qu'on soit d'accord avec sa politique ou pas, il a pris un engagement. [...] Mais mobiliser les gens est une chose, faire vivre les propositions qu'ils expriment, une autre. Le risque, c'est de tuer l'utilité de ces outils.
Fabrice Dalongeville, entretien avec Vincent Bresson, « Le Pèlerin », 09/04/2024
Car, pour la députée communiste des Hauts-de-Seine Elsa Faucillon, cet escamotage en règle de la consultation nationale n’est rien moins qu’une dépossession. L’analyste Gilles Proriol, qui fut un temps mobilisé par le gouvernement avec son cabinet de conseil – mais dut finalement détruire toutes ses données après le démantèlement du Grand Débat –, estime quant à lui qu’il s’agissait du plus gros corpus d’expression citoyenne analysé en France et peut-être dans le monde, plus précis que bien des sondages d’opinion. Un véritable trésor, en somme, qui dessine les contours du programme idéal des Français, auquel aucun candidat, fait-il remarquer, n’a paru s’intéresser lors de la campagne présidentielle de 2022. L’analyste avait pu identifier sept cents propositions – ce qui dit bien la richesse de ces prises de parole, loin de la simple déploration –, dont une centaine qui constituent un véritable socle commun : justice sociale, fiscale, accès aux soins, « pouvoir de vivre » (plutôt que la très libérale formule de « pouvoir d’achat »), etc. Quand les gens s’expriment spontanément, fait-il encore remarquer, ils parlent assez peu d’immigration et d’insécurité...
Philippe Brun, député socialiste de l’Eure, estime quant à lui qu’on est passé à côté du plus grand moment social en France depuis Mai 68, avant d’exprimer sa certitude que c’est à partir de ces cahiers de doléances et de leur analyse que l’on reconstruira un système politique démocratique. En attendant, ces cahiers, comme celles et ceux qui les ont remplis, restent en souffrance...
Le 8 février 2024, le 13/14 de France Inter recevait Hélène Desplanques, réalisatrice des Doléances, et Manon Pengam, maîtresse de conférences en sciences du langage.
Le 10 février, Denis Robert recevait sur la chaîne numérique Blast Hélène Desplanques et Fabrice Dalongeville.
Les Doléances
Documentaire (2024) – Durée 52 min – Un film de Hélène Desplanques – Production 13 Prods, Pictanovo et France Télévisions – Avec le soutien de la Région Hauts-de-France et de la Région Sud - Provence-Alpes-Côte d’Azur
Diffusion lundi 16 septembre à 23.05 sur France 3
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