« La banlieue, c’est le paradis »

C’est de la bombe, bébé !

France 2

Documentaire

Soixante-dix ans d’histoire des banlieues racontée par des artistes qui y ont grandi et des représentants d’associations ou politiques, dont les trois derniers présidents de la République. Illustré de témoignages et d’archives, ce film de Mohamed Bouhafsi – qui a grandi dans une cité de Saint-Denis – est aussi une ode à huit pour cent de la population française. À voir mardi 18 février à 21.10 sur France 2 et dès le jeudi 13 février sur france.tv.


Les banlieues, on dit que c’est l’enfer, mais c’est tout simplement un morceau de la France.

Mohamed Bouhafsi

« Dire notre vérité, raconter notre vraie histoire. » Bien connu des téléspectateurs de France Télévisions, Mohamed Bouhafsi a grandi à Saint-Denis. Dans les années 1990, sa famille fuit le terrorisme en Algérie et s’installe à la cité des Francs-Moisins. Avant sa construction en 1974, on y trouvait un des bidonvilles les plus grands de la région parisienne.
Comme dans deux cents autres en France à cette époque, il n’y a « pas d’eau courante, pas d’évacuation des eaux, pas d’eau chaude, pas de toilettes… » rappelle Fabien Roussel, le secrétaire national du Parti communiste français. « Les gens vont s’installer de façon précaire au plus près de leurs zones d’emploi », explique l’architecte et urbaniste Michel Cantal-Dupart.
Mohamed Bouhafsi n’a jamais oublié cette phrase de son grand-père, kabyle : « On m’avait dit qu’en France les rues seraient pavées d’or ! Mais, très vite, j’ai compris que non seulement les rues n’étaient pas pavées du tout, mais qu’en plus c’est nous, les Algériens, qui allions devoir les construire. »
Alors quand, au début des années 1970, les premiers grands ensembles surgissent de terre, les habitants se réjouissent : « C’était des palaces : il y avait la salle de bains, la cuisine, le chauffage au sol, se souvient Farida Khelfa, mannequin, réalisatrice et autrice. Vraiment, c’était le luxe ! » Du béton qui coule, des centaines de barres de logements et de tours apparaissent à la ceinture des grandes métropoles françaises et des petites villes de province : « Une organisation à angle droit telle une peinture de Kandinsky, compare Michel Cantal-Dupart, dont les tours marqueront des points focaux. » Pour l’ancien ministre de la Ville et de la Cohésion sociale Jean-Louis Borloo, « on a construit des lieux qui étaient hors ville, juste à côté mais pas avec le même urbanisme… Une vraie cicatrice urbaine, un système fermé sur lui-même. »
Les politiques rivalisent de créativité pour mettre un nom sur ces eldorados : Zup, cité de transit – puis « cité » tout court –, quartiers prioritaires, sensibles – puis « quartiers » tout court… On promet des plans banlieues, on dresse une politique de la ville, chapeautée par un ministre de la Ville.
Et dans ce monde en béton, raconté comme des tours de Babel, poussent mille bulles d’espoirs.

Je suis pas sûre que les gens qui ont créé ça auraient pu réellement y vivre... Nous, on prend racine là et puis, petit à petit, ça devient un arbre, on éclot et on devient les fruits de ce pays.

Sabrina Ouazani, actrice et réalisatrice
« La banlieue c'est le paradis »
Mohamed Bouhafsi avec Nassira, sa mère.
© Troisième Œil Productions

Mais très vite, dès les années 1980, surgissent les grandes désillusions : crise et chômage, pauvreté et délinquance, racisme et violences policières, drogue et alcool. Pour Mohamed Bouhafsi, « tous les germes de notre histoire sont là ». Ses interlocuteurs racontent tour à tour « leur » banlieue, celle où ils ont grandi, où ils se sont construits et où des liens forts leur ont permis d’accomplir leurs rêves.

Christian Delorme, prêtre et initiateur de la Marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983, n’a pas oublié que « les banlieues populaires des années 1970-1980, ce sont encore des lieux de grand mélange social… C’était la richesse de ces quartiers populaires. » Dans les années 1970, le journaliste se souvient qu’« on y parlait toutes les langues, on y vivait la porte ouverte ». « Pas de sujet d’islamisme ou d’extrémisme, précise l’entrepreneur et cofondateur de Free, Xavier Niel. Tout le monde tolérait la religion des autres et ça se passait extrêmement bien. » Aujourd’hui encore, pour l’acteur Franck Gastambide, « il y a de la sensibilité, de l’entraide… ». Et beaucoup de solidarité, comme celle qui a arraché Mohamed Bouhafsi aux griffes d’un père violent. « Mais quand il y a une concentration de pauvreté, de chômage, rappelle Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français, ça crée de la misère, du trafic, de la délinquance, de la désespérance… » Les jeunes banlieusards rêvent d’un autre monde et d’un autre avenir économique, grâce un temps à l’éphémère ministre de la Ville Bernard Tapie. Ils se reconnaissent enfin à l’écran lorsque sort le film La Haine en 1995, et plus tard se projettent dans l’idéal incarné par un Zinedine Zidane lors de la Coupe du monde 1998, ou par tous les artistes – acteurs, humoristes ou rappeurs – qui commencent à émerger dans les médias. Mais le 11 septembre 2001 rebat les cartes : « Là, tout d’un coup, être arabe, se désole Lyna Khoudri, c’est plus du tout stylé. »

Face à Mohamed Bouhafsi, les présidents Emmanuel Macron, François Hollande et Nicolas Sarkozy reviennent sur leurs choix de politiques volontaristes qui, tour à tour, se sont fracassées sur la réalité d’une colère trop longtemps accumulée. Celle qui a conduit tout droit à l’explosion d’émeutes meurtrières… « À un moment, les émeutes s’arrêtent mais la colère reste, assure Franck Gastambide. Et donc ça recommencera… »

Moi ce qui me gêne : l’exemple du peu devient l’exemple général, voilà ce qui me rend fou.

L'artiste et producteur Akhenaton, à propos de la guerre des gangs
« La banlieue c'est le paradis »
Des enfants des Francs-Moisins avec Diangou Traoré et Emmanuel Macron.
© Troisième Œil Productions

Extraits 

« J’ai vu que des petits qui rêvent de s’en sortir, qui rêveraient de ne pas avoir à passer par la case prison. Mais qu’est-ce qu’on leur offre ? » Lyna Khoudri, actrice 

« Quand tu sais, comme moi, que tu es en échec scolaire, tu es une déception pour ta famille, tu sais que tu n’auras pas accès à de bons métiers donc à de bons salaires : t’es à ça de devenir un délinquant, évidemment… » Franck Gastambide, producteur, réalisateur, acteur

« Je me suis fait agresser un nombre de fois incalculable dans mes trajets. » Anne-Élisabeth Lemoine, journaliste, présentatrice de télévision

« Karcher, c’était pas une maladresse : c’était la volonté de dire “On va aller en profondeur chercher ces trafiquants !” » Nicolas Sarkozy, président de la République (2007-2012)

« Il y a autant de personnes intelligentes en pourcentage dans nos banlieues que dans nos grandes villes, et donc la différence elle vient de la chance qu’on est capable de leur donner. » Xavier Niel, entrepreneur et cofondateur de Free

« La banlieue c'est le paradis »
Sabrina Ouazani, actrice et réalisatrice
© Troisième Œil Productions

Ce pays n’en a peut-être pas conscience, mais moi, j’ai conscience d’être une richesse pour ce pays.

Adjera Lakehal-Brafman, ancienne directrice de l’association Femmes de Franc-Moisin 

Avec les témoignages de Renaud Epstein, professeur de sociologie ; Nadir Hammache, ancien habitant du Franc-Moisin ; Farida Khelfa, mannequin, réalisatrice et autrice ; Fabien Roussel,secrétaire national du Parti communiste français ; Lyna Khoudri, actrice ; Michel Cantal-Dupart, architecte et urbaniste ; Sofiane Zermani, artiste et producteur ; Emmanuel Macron, président de la République ; Akhenaton, producteur et artiste ; Sabrina Ouazani, actrice et réalisatrice ; Diangou Traoré, association Franc-Moisin Citoyenne ; Monique Munoz, habitante du Franc-Moisin ; Christian Delorme, prêtre et initiateur de la Marche pour l’égalité et contre le racisme ; Franck Gastambide, producteur, réalisateur, acteur ; Nassira, mère de Mohamed Bouhafsi ; Djamel Attalah, éducateur et médiateur urbain ; François Hollande, président de la République 2012-2017 ; Adjera Lakehal-Brafman, ancienne directrice  de l’association Femmes de Franc-Moisin ; Jean-Louis Borloo, ancien ministre de la Ville et de la Cohésion sociale ; Tanaz Rohani, directrice de l’association Femmes de Franc-Moisin ; Dominique Tapie, épouse de Bernard Tapie ; Corinne Angelini, présidente de l’association Femmes de Franc-Moisin ; Nicolas Sarkozy, président de la République 2007-2012 ; Karine Julien-Elkaïm, présidente du comité exécutif, groupe Polylogis ; Aurélien Devise, directeur d’établissement, EPC Demosten ; Anne-Élisabeth Lemoine, journaliste, présentatrice de télévision ; Fehmi Cherif, animateur de l’antenne jeunesse du Franc-Moisin ; Olivier Klein, maire de Clichy-sous-Bois, ancien ministre de la Ville ; Xavier Niel, entrepreneur et cofondateur de Free

La banlieue, c’est le paradis

Un film de Mohamed Bouhafsi
« La banlieue, c'est le paradis »
© Troisième Œil Productions

Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, les banlieues en sont la parfaite illustration. Dans les années 1960, elles devaient être un paradis moderne et confortable, un eldorado pour les nouveaux venus… Cette cité aurait pu, aurait dû être idéale. Pourtant, elle ne l’est pas. Ou quand elle le devient, joyeuse et flamboyante, sur un coup de tête ou sur un coup d’éclat, elle ne le reste jamais bien longtemps. Pourquoi cet idéal n’a-t-il fonctionné qu’un temps ? Qu’a-t-on réussi ? Et qu’a-t-on oublié au moment de construire les marches du paradis ? 

Documentaire (90 min – 2025 – inédit) – Un film de Mohamed Bouhafsi – Écrit et réalisé par Nathalie Conscience – Production Mediawan et Troisième Œil Productions, avec la participation de France Télévisions

La banlieue, c’est le paradis est diffusé mardi 18 février à 21.10 sur France 3
Disponible dès le jeudi 13 février sur france.tv

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