Joseph est fou d’amour pour ses parents, son frère et sa sœur, fou de peinture, fou d’avions..., tout simplement fou. Le réalisateur Eden Shavit l’a suivi dans son quotidien, son monde et ses rêves. Et ce qui aurait pu être un film « sur Joseph » est devenu un film passionnant et chaleureux « avec Joseph ». Dans « L’Heure D », mercredi 10 juillet à 22.50 sur France 3.
Sophie : On est avec Eden, le mec qui fait le film avec Joseph. Il aurait été content de te rencontrer…
Gérard (au téléphone) : Il fait un film sur quoi, en fait ?
Sophie : Sur Joseph.
Joseph : Papa, pour une fois, j’ai rencontré quelqu’un qui aime mes avions. Je lui présente mes avions…
Joseph est un quinquagénaire qui vit avec sa mère, Sophie, dans un appartement parisien. Il est volubile, parfois un peu brumeux mais souvent assez drôle. « Je suis comédien, j’aime bien jouer. » Joseph prend un plaisir évident à s’adresser à la caméra d’Eden Shavit. « C’est important pour le bon ton du film, confie-t-il tandis que Sophie lui coupe les cheveux, ça me rafraîchit les idées », il est visiblement très investi. « C’est quand même ta caméra, c’est toi qui as décidé de me fréquenter, de me visiter chez moi pour discuter. Ce sera une œuvre qu’on aura faite à deux. » Joseph commente ses peintures (« Ça me permet de faire un peu de géométrie »), feuillette ses carnets remplis de dessins nerveux et tourmentés, écoute du jazz avec sa mère, fume des cigarettes, montre de vieilles photos – ici le très beau bébé qu’il fut, là sa sœur Louise, son frère Camille – et puis, donc, parle (beaucoup) de ses avions. Pourquoi des avions ? « Parce que je suis un bon cosmonaute, un bon commandant. »
Il y a quinze ans, Joseph est sorti de l’hôpital psychiatrique de Ville-Évrard, la « prison » où il avait vécu dix ans. C’est là – ou peut-être un peu avant – que sont arrivés les avions, « et tout et tout », effets selon lui de la psychiatrie, des piqûres et des neuroleptiques, et dont les noms évidemment font sens : Mirage, Phantom, Rafale… Parfois, il parle même de l’invalide de guerre qu’il est devenu, pour avoir été soldat à Ville-Évrard. « Mais maintenant, répète-t-il, je vais bien. »
Sophie et son fils déjeunent chez Gérard. Et le dialogue difficile, plein de non-dits entre Joseph et son père est un des moments à la fois les plus émouvants et les plus ironiques de ce film. Joseph (à la caméra) : « On découvrira un père presque parfait mais malheureux parfois… c’est dû à mon accident frontal en 90.
– C’était effroyable, Jo… mais on n’en parle pas… Tu as envie d’en parler ? – Joseph s’était suicidé d’un coup de revolver théâtral dans la tête. – Tu n’as jamais eu de revolver. Jo voit des choses que les autres ne voient pas. » Ou qu’ils ne voient plus. Comme cette belle photo de famille modèle qui fit la couverture d’un fameux magazine des années 70 prônant le « fait maison », image d’un monde et d’un bonheur engloutis. « On remet Gérard et Sophie, Joseph, Camille et Louise dans la maison et on fait enfin une famille heureuse. C’est le rêve de Joseph. J’ai pas l’impression d’être tellement écouté. »
De toute façon, il est trop tard. Le père est gravement malade. Il meurt. Voilà la famille réunie mais dans le deuil (« C’est une famille triste, alors… »). Entre-temps, quelque chose a changé dans la relation sensible et fraternelle qui s’est nouée entre Eden et Joseph, le second s’est emparé à son tour d’une caméra et filme le filmeur : « On se fusionne, on se rencontre, c’est un face à face (…) Je sais assez bien qui je suis mais c’est difficile d’être Joseph tout seul. Peut-être qu’avec la caméra je suis en train de bien faire. »
À suivre : « 365 jours »
La diffusion de Joseph à la folie est suivie de celle du magnifique documentaire cosigné par François Tourtret et Sandra Thévenet. En 1994, François Tourtet, alors étudiant en cinéma, a arpenté les rues de Paris avec une caméra super-8, s’imposant de filmer un plan par jour et s’agrippant à ces instants quotidiens fixés par l’appareil. Il avait alors 26 ans : l’âge précisément de l’homme qui l’abusa sexuellement lorsqu’il avait 12 ans. C’est le secret dont il est resté prisonnier durant quatre décennies et qu’il a décidé de déballer – même si les faits sont aujourd’hui prescrits – après avoir redécouvert les bobines dans un vieux carton et rencontré la monteuse Sandra Thévenet. À travers cette mise en abyme – un montage réalisé aujourd’hui de séquences filmées en 1994, supports à l’évocation d’événements survenus plus de dix ans plus tôt –, grâce au contraste saisissant entre des images apparemment anodines aujourd’hui chargées de nostalgie et un récit autobiographique terrible, le réalisateur a trouvé la force de briser le silence dans lequel il fut longtemps empêtré, de mettre des mots sur ce qu’il avait vécu enfant et de se libérer de la honte qui avait si longtemps entravé sa vie d’adulte.
> Voir : « L’Heure D, neuvième saison »
Joseph à la folie
Documentaire (60 min – 2024 – inédit) – Réalisation Eden Shavit – Un film écrit par Eden Shavit et Joseph Massard-Combe – Musique originale David Gubitsch – Production Bonne Compagnie, avec France 3 Nouvelle-Aquitaine
365 jours
Documentaire (52 min – 2023) – Réalisation François Tourtet et Sandra Thevenet – Production Solent Production, avecFrance 3 Pays de la Loire (précédemment diffusé en décembre 2023 dans La France en vrai sur France 3 Pays de la Loire)
Diffusion dans L’Heure D, mercredi 10 juillet à 22.50 sur France 3
À voir et à revoir sur france.tv