« Infrarouge : Mauvaise langue »

Un documentaire pour briser le tabou de la langue arabe en France

France 2

Documentaire

Deuxième langue la plus parlée de France, l’arabe est également la moins enseignée du pays. Pourquoi la communauté arabophone est-elle celle qui transmet le moins sa langue ? Interrogeant anonymes et personnalités sur leur rapport à leur langue maternelle, ce passionnant documentaire « Infrarouge » dévoile avec justesse et sensibilité l’histoire et les blocages de notre société. Mercredi 11 septembre à 22.50 sur France 2.

« Infrarouge : Mauvaise langue ». © Nova Production

Nabil Wakim, né au Liban en 1981, raconte sa honte quand, fraîchement arrivé en France à l’âge de 4 ans, il entendait sa mère s’exprimer en arabe dans la rue. Plus tard, après les attentats de 2015, devenu père, il s’est interdit, « par instinct de survie », explique-t-il aujourd’hui, de parler arabe à sa fille. Pourquoi un tel malaise, une telle autocensure ? Et pourquoi tant de Français de culture arabe partagent-ils ces mêmes sensations ?
Dans l’imaginaire collectif, l’arabe, langue « pauvre » des immigrés, des déclassés des années 1980, est devenu, en trente-cinq ans, celle, dangereuse, immédiatement suspecte, d’une radicalisation supposée, d’un fantasme de repli communautaire (comme en témoigne le tollé provoqué par la proposition de réforme de son enseignement, portée en 2016 par la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem, accusée de vouloir imposer la « langue du Coran » à tous les petits Français). 

C’est une langue qui est dans ma tête et, en même temps, en dehors de ma tête. C’est comme une partie de mon cerveau, comme une nébuleuse, je sais que c’est là, il y a tous les mots qui naviguent, qui volent au-dessus de ma tête, mais je ne sais pas exactement ce qu’ils veulent dire, ce qu’ils signifient. [...] On se met des blocages soi-même.

Mariam Benbakkar, artiste

L’arabe serait-il une « mauvaise langue » ? Alors qu’elle est la deuxième langue de France (avec 3 à 4 millions de locuteurs), elle n’est enseignée que dans 3 % des collèges et des lycées, moins que le russe et le chinois. Pourquoi tant de Français de culture arabe en ont-ils honte ? Pourquoi, comment les enfants d’immigrés ont-ils ainsi perdu leur langue maternelle ? Comment, dès lors, la faire vivre, la transmettre ? Et pourquoi le moindre débat sur l’apprentissage de l’arabe à l’école républicaine nourrit-il tant de polémiques et de crispations ? 
De ces questionnements, Nabil Wakim, désormais journaliste au Monde, a fait la matière d’un livre, L’Arabe pour tous, publié en 2020 aux éditions du Seuil. Aujourd’hui, il prolonge sa démarche de dévoilement de l’histoire et des tabous de la société française par le prisme de la langue arabe, en proposant ce passionnant documentaire à la première personne. Accompagné du réalisateur Jaouhar Nadi, il est parti confronter sa propre expérience à celle d’anonymes, de familles, d’enseignants, mais aussi de personnalités comme Najat Vallaud-Belkacem ou la comédienne Sabrina Ouazani. Ensemble, elles et ils font entendre une parole rare, précieuse, souvent tue, racontant le malaise intime à parler sa propre langue (ou à être incapable de parler celle de ses aînés), quand cette langue est l’arabe.

Cette langue continue d’être perçue comme le cheval de Troie de ce grand remplacement, de cette invasion fantasmée, de cet islamisme qui fait peur... C’est oublier qu’il y a quantité de gens (athées, chrétiens) qui pratiquent l’arabe, le lisent, l’écrivent... C’est une méconnaissance incroyable de la réalité des locuteurs arabes.

Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse

Filmant son propre quotidien comme celui de ses interlocuteurs (moments saisis sur le vif : repas partagés, échanges entre générations, promenades), Nabil Wakim et Jaouhar Nadi parviennent, à chaque instant, à tisser histoires intimes et histoire collective, expériences personnelles et destin national. Émaillés d’images d’archives autant que de photographies de famille, les récits se mêlent, se complètent, se ressemblent et traversent cinquante ans de décolonisation, d’immigration, d’intégration mais aussi, disons-le, de racisme plus ou moins décomplexé.
Parler (de) l’arabe, c’est parler de la société française dans son ensemble, de ses évolutions et de ses blocages, depuis l’arrivée de la « première génération », main-d’œuvre bon marché participant à la reconstruction du pays après la Seconde Guerre mondiale, jusqu’au vécu de la génération actuelle, marquée tout autant par l’euphorie de la parenthèse « black-blanc-beur » qui a suivi la Coupe du monde 1998 que par les tensions sécuritaires et identitaires nées des attentats du 11 septembre 2001.
Face caméra, les témoins racontent ce déracinement de la langue et le manque qu’il creuse en soi et autour de soi. « Je suis perçue comme Marocaine, parce que j’en ai le faciès, résume l’artiste Mariam Benbakkar, mais comme je ne sais pas parler arabe, je ne suis pas légitime… C’est comme si j’avais une demi-identité, comme si je n’étais pas complète. » Ni française ni arabe, incomplète : avec sensibilité et justesse, le documentaire réussit à s’emparer de ce manque intime pour en faire un enjeu commun, une volonté de « complétude », véritable plaidoyer pour une diversité reconnue, partagée et sereine. Parler une autre langue est une chance, non un handicap, encore moins une honte. « Avec l’arabe, on ferait de meilleurs francophones, des francophones plus cultivés, plus heureux, plus équilibrés », conclut Zeinab Zaza, professeure d’arabe à la retraite. 

Infrarouge : Mauvaise langue

Sabrina Ouazani
Sabrina Ouazani dans « Mauvaise langue ».
© Nova Production

Alors que l’arabe est la deuxième langue la plus parlée du pays, avec entre 3 à 4 millions de locuteurs, elle n’est enseignée que dans 3 % des collèges et des lycées, moins que le russe et le chinois !
Pourquoi les enfants d’immigrés venus de pays arabes ne parlent-ils pas la langue de leurs parents ? Pourquoi tant de Français de culture arabe ont-ils honte de leur langue maternelle ? Pourquoi chaque débat politique sur l’apprentissage de l’arabe à l’école républicaine se transforme en pugilat ? Pourquoi l’arabe est-il vécu comme un tabou… une mauvaise langue ? 
Nabil Wakim, journaliste au Monde, né au Liban, est arrivé en France à l’âge de 4 ans. Il a appris le français, puis il a oublié sa langue maternelle. À 40 ans, il a décidé d’explorer son propre rapport à cette langue, celle qui devrait être la sienne mais qu’il n’arrive ni à parler ni à apprendre. Avec Jaouhar Nadi, le réalisateur du documentaire, Nabil Wakim part à la rencontre d’anonymes, mais aussi de personnalités comme Najat Vallaud-Belkacem ou la comédienne Sabrina Ouazani, pour faire entendre une parole souvent tue sur le malaise intime à parler sa propre langue, quand il s’agit de l’arabe.

Documentaire (inédit – 64 min – 2024) – Scénario et réalisation Jaouhar Nadi et Nabil Wakim – Production Nova Production – Avec la participation de France Télévisions et du Centre national du cinéma et de l’image animée

Mauvaise langue, documentaire « Infrarouge » diffusé mercredi 11 septembre à 22.50 sur France 2, est à (re)voir sur france.tv

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Publié le 10 septembre 2024