« Il suffit d’écouter les femmes »
France Télévisions commémore les 50 ans de la promulgation de la loi Veil
France 5
Documentaire
Un film qui brise le silence. Pour la première fois, des femmes acceptent de raconter leur avortement clandestin dans la France d’avant 1975. À l’origine, l’appel à témoins lancé par l’INA qui a libéré la parole de centaines de femmes. Ces témoignages émouvants permettent de découvrir une réalité souvent traumatisante, parfois violente voire tragique. Un documentaire suivi d’un débat pour rappeler à tous l’héritage de Simone Veil. À voir mardi 14 janvier à 21.05 sur France 5 et sur france.tv.
Catherine, lycéenne, 17 ans en 1965, sollicitée par sa propre mère pour l’avorter
Je veux témoigner pour que mes petites-filles ne connaissent jamais ça.
« Il suffit d’écouter les femmes » : ces paroles du célèbre discours de Simone Veil à l’Assemblée nationale en 1974 sont aussi le titre d’un documentaire événement inédit, au cœur de la mobilisation éditoriale de France Télévisions. À l’occasion des 50 ans de la loi Veil en janvier 2025, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) s’est donné la mission, avant qu’il ne soit trop tard, de lancer un projet mémoriel sur le vécu ordinaire de l’avortement avant sa légalisation en France.
Avant 1975, alors qu’aucune contraception fiable n’était véritablement entrée dans les foyers, on estime que 800 000 femmes subissaient chaque année un avortement clandestin, un délit pénal encore sévèrement réprimé. La clandestinité, c’était en fait le quotidien des femmes, des couples, des familles. Mais comment s’y prenait-on ? Combien cela coûtait-il ? Que risquait-on ? L’immense majorité des femmes, toutes marquées par leur « événement », n’avaient jamais osé briser le silence, jusqu’à ce que l’INA ne lance un appel à témoins pour lever enfin le voile sur ce pan immense de notre histoire. Contre toute attente, des centaines de messages téléphoniques ont déferlé : des femmes, des filles, des petites-filles, des médecins, des maris, des avocats… tous volontaires pour raconter à quoi ressemblait la vie, quand avorter était interdit.
Ces hors-la-loi, anonymes, non militants, ce sont nos mères, nos tantes, nos grands-mères… C’est aussi la grand-mère d’Ana Girardot, narratrice du film. Morte en 1968 de son avortement, Clotilde Vautier laisse deux orphelines et un veuf : Antonio Otero, un des 79 témoins du recueil de témoignages filmés par l’INA pour la postérité.
Raconter ce film, c’est ma façon de leur rendre hommage.
Ana Girardot, petite-fille d’Antonio et Clotilde, décédée en 1968 des suites de son avortement
Pensé comme « le film de ce projet mémoriel », ce documentaire nourri d’archives et de films générationnels entremêle le vécu d’une quinzaine de témoins, issus de tous les territoires et de tous les milieux sociaux, qui ont vécu l’avortement clandestin entre 1955 et 1975. De Colette à Marie-France, de Catherine à Denise, d’Olivier à Antonio, parfois en présence de petites-filles avides d’entendre le courage de leurs aïeules, le film donne à entendre la variété des méthodes employées, la participation active des enfants, le rôle des hommes, du voisinage, celui des médecins, le bricolage généralisé, la prison, voire la mort. Leurs témoignages révèlent l’ampleur des violences physiques, psychologiques, voire sexuelles, engendrées par la clandestinité.
« Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement : il suffit d’écouter les femmes », déplorait la ministre de la Santé Simone Veil le 26 novembre 1974, devant une Assemblée nationale presque uniquement composée d’hommes. Promulguée sept semaines plus tard, le 17 janvier 1975, la loi Veil met fin à des siècles d’interdits et de drames. Cinquante ans plus tard, ce film rend un hommage bouleversant à l’argument ultime de l’oratrice. Par la puissance de la parole directe, l’ensemble du projet construit une histoire universelle à hauteur d’hommes et de femmes, tout spécialement adressée à la jeunesse.
Le documentaire sera suivi d’un débat dans C ce soir.
Un mot sur l’appel à témoins
11 octobre 2023 : l’INA lance son appel à témoins, partout en France hexagonale et dans les territoires d’Outre-mer. Au total, l’Institut recevra quatre cents appels. Des témoignages de femmes qui ont avorté clandestinement avant 1975, leurs proches, leurs petites-filles parfois, mais aussi celles et ceux qui ont pratiqué l’avortement. Des récits de celles qui se sont débrouillées seules avec des moyens bricolés ou de celles qui ont lutté, ensemble, pour que cessent la peur, la douleur et le danger. Celles qui ont été avortées de façon contrainte ou à leur insu. Mais aussi les familles endeuillées de ces femmes qui ont succombé à leur avortement clandestin.
Note d’intention d’Isabelle Foucrier, exposition du dispositif d’entretiens
« Ce qu’ont vécu les Françaises n’est pas de l’histoire pour tout le monde, loin de là. Sous l’impulsion d’Isabelle Foucrier, productrice à l’INA, ce projet mémoriel prend racine en 2022 dans une actualité mondiale alarmante. Alors qu’une femme polonaise est morte quelques mois plus tôt d’un refus d’IVG par les autorités médicales, l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade par la Cour suprême américaine plonge des millions de femmes américaines dans une dangereuse détresse. C’était avant que Donald Trump ne soit réélu…
Très vite, ces inquiétudes se transforment en un constat vertigineux : en France, les derniers témoins/acteurs/victimes de l’avortement clandestin sont encore là pour témoigner à la première personne. À l’occasion du cinquantenaire de la loi Veil, ce projet souhaite combler une lacune essentielle : avons-nous vraiment écouté les femmes qui ont avorté clandestinement avant 1975 ? »
Les femmes avortées
– Maguy, née en 1943 (80 ans)
« Je ne pouvais pas envisager de dire à mes parents que j’étais enceinte. »
– Denise, née en 1933 (91 ans) dans le Morvan. Avorte de nombreuses fois durant sa vie conjugale. Témoigne avec sa petite-fille Suzanne.
« Onze enfants, j’avais vu ce que c’était. Moi j’en voulais deux maximum. »
– Yvelise, née en 1956 (68 ans) en Guadeloupe. Avorte en 1972 à Amsterdam grâce au MLAC.
« Cette grossesse aurait entravé ma vie, indéniablement. »
– Colette, née en Normandie en 1938 (85 ans), avorte en 1965 à Rennes.
« Quand, avec mes jumelles de 18 mois, j’ai découvert cette nouvelle grossesse, j’avais peur de mourir tellement j’étais fatiguée. » « J’aurais pris tous les risques, j’aurais fait n’importe quoi… »
– Huguette, née en 1939 (84 ans) dans la Sarthe. Avorte en 1964 et en 1970.
« Le médecin de l’hôpital me dit : “Tu vas voir, salope, ton curetage, ce sera sans anesthésie.” »
– Marie-France, née en 1946 (78 ans). Avorte en 1967.
« J’étais une putain, la dernière des dernières, qui ne méritait pas de vivre. C’était tellement impossible que je me serais sûrement suicidée. » « Ça m’a fait très mal mais j’ai rien dit : j’étais prête à tout, à mourir. »
– Christine, 18 ans en 1968
« Elle m’a demandé de ne pas parler, de ne pas crier. »
– Christine et Pierre, 18 ans en 1973
« Il a demandé l’argent avant toute chose. » Pierre
« Je me souviens d’avoir eu très peur mais je n’étais pas toute seule. » Christine
– Catherine, née en 1947 (77 ans). Avorte sa mère en 1965 à l’âge de 17 ans.
« Ma mère, 42 ans, enceinte, s’avance vers ce balcon et menace de sauter… “Avant c’est ta grand-mère qui me faisait ça, mais là, elle tremble, elle ne peut plus, il n’y a que toi.” Ça va faire soixante ans, c’est extrêmement présent dans ma mémoire… C’est une grande solitude. »
– Michelle, née en 1952 à Angoulême (72 ans). Avorte en 1972 à Toulouse entre les mains d’un médecin libidineux.
« Une fois que tout a été fini, il m’a fait asseoir sur ses genoux et m’a dit : “Ne recommence plus ma petite !” »
– Christiane, ancienne garde des Sceaux, née en Guyane
« Je me réveille un jour et j’apprends qu’on était persuadé que je ne survivrai pas. »
Il suffit d’écouter les femmes, c’est aussi...
Un podcast
Nous sommes à la fin des années 1960, dans une petite ville de province. Une jeune femme raconte comment elle a failli perdre la vie en choisissant d’avorter clandestinement.
À partir de la matière récoltée via le programme patrimonial de l’INA, l’autrice et réalisatrice de documentaires et de fictions sonores Julie Auzou donne vie à cette histoire dans le podcast « Il suffit d’écouter les femmes ».
La série est découpée selon l’organisation de l’espace le plus quotidien de ces femmes des Trente Glorieuses : l’intimité de la maison. De la chambre à la salle à manger, en passant par la cuisine pour finir dans la rue, Julie questionne les rapports sociaux de ces femmes – mari, famille, copines, voisins et militant.es – et leur influence sur la décision et l’acte d’avorter.
Podcast (5 x 30 min – 2024) – Autrice-réalisatrice Julie Auzou – Production et création originale INA – Podcast cobrandé INA et France Télévisions
À écouter sur les applications Radio France, Spotify, Deezer, Apple Podcast
Et un livre
Des témoignages mis en récit par Léa Veinstein
Dans ce livre de textes, l’autrice et documentariste Léa Veinstein rassemble les témoignages les plus remarquables de la collecte menée sur l’avortement clandestin. Mis en forme de manière thématique, afin d’accompagner les lecteurs dans une réflexion approfondie sur ce pan de notre histoire collective, ce livre amené à devenir un ouvrage de fonds se veut aussi un relais nécessaire dans la transmission aux générations futures.
Disponible en librairie le 22 janvier 2025
Il suffit d’écouter les femmes
Documentaire (90 min – 2024) – Réalisation Sonia Gonzalez – Auteures Sonia Gonzalez et Bibia Pavard – Avec la voix de Ana Girardot – Production Ina, avec la participation de France Télévisions