À l’occasion de la sortie du film « Emmanuelle » d’Audrey Diwan, ce documentaire inédit explore la sexualité féminine et ses représentations à travers la figure mythique de l’érotisme, Emmanuelle. De l’aventure littéraire de 1959 à sa relecture post-#MeToo, en passant par le phénomène culturel mondial de 1974, il en questionne l’héritage. À voir mardi 24 septembre à 21.05 sur France 5 et sur france.tv.
Audrey Diwan
La conquête qu’une femme pourrait faire de son propre plaisir, pour moi c’est un chemin que j’avais envie de suivre.
Il faut se replonger au début des années 1970 pour comprendre l’onde de choc que provoqua le film Emmanuelle à sa sortie durant l’été 1974. Dans une France encore corsetée, conservatrice et catholique, on protège la morale et les « bonnes mœurs ». Mais l’arrivée de Giscard au pouvoir – qui suit le décès de Pompidou – fait souffler un vent de modernité et de liberté « après dix ans de frustrations et de révolte ».
Le film – où la jeune héroïne, interprétée par l’actrice danoise Sylvia Kristel, explore sa sexualité librement, sans tabou ni respect des conventions – peut échapper à la censure et entre dans le réseau des salles grand public. « C’est pour la première fois, explique Malka Marcovich, historienne et autrice, quelque chose qui ne se voit pas sous le manteau. » Les files s’allongent devant les cinémas et les chiffres font tourner la tête. Véritable phénomène de société, Emmanuelle s’exporte partout à l’étranger. « Emmanuelle, rappelle la journaliste et critique de cinéma Guillemette Odicino, c’est pour le monde entier la femme française qui n’a pas peur de chercher son plaisir. »
Mais c’est aussi une vision masculine du désir féminin, comme le souligne l’historienne et autrice Florence Montreynaud : « Elle désire comme les hommes désirent qu’elle désire. »
Le film a transformé la femme libre et pensante qu’était Emmanuelle en un objet de désir pour les hommes.
Camille Moreau, autrice et docteure en philosophie
Adapté du roman sulfureux d’Emmanuelle Arsan, le film est né de la volonté du producteur Yves Rousset-Rouard (qui s’occupera plus tard des films du Splendid, avant de devenir député) de faire « un coup » : « Mon objectif, c’était de battre Le Dernier Tangoà Paris ! » Pour le réaliser, il s’adresse à un photographe en vogue, Just Jaeckin. Tourné à Bangkok avec un petit budget, le film battra les records d’entrées. La critique, pourtant, est assassine. « Mais quel navet ! s’afflige Malka Marcovich. C’est le vide absolu… »
On est loin du livre publié en 1959 – bravant tous les interdits puis réédité en 1967 – où l’héroïne est beaucoup plus libre que celle interprétée par Sylvia Kristel. « Le personnage d’Emmanuelle, c’est une femme qui fait de sa vie sexuelle une œuvre d’art pleinement, raconte Camille Moreau. Elle n’est aliénée par rien. » Dès le début, l’éditeur comprend qu’il tient entre les mains « un chef-d’œuvre à la fois de licence et de liberté, et de littérature parce que c’est extrêmement bien écrit ».
Mais dans le récit d’Emmanuelle Arsan, femme de diplomate français installée à Bangkok, – aucune scène de viol ou qui ferait « l’apologie de la banalisation de la pédocriminalité » – selon Malka Marcovich – comme il en a été tourné plusieurs dans le film… « Pour moi, s’indigne la journaliste et autrice Chloé Thibaud, c’est la racine culturelle du mal actuel des violences sexistes et sexuelles. »
C’est une femme théorique qui, au fur et à mesure, va devenir une femme réelle. C’est assez neuf dans la manière de voir Emmanuelle, et c’est un peu plus proche du roman.
Guillemette Odicino, journaliste et critique de cinéma
Cinquante ans après, c’est à travers le regard d’une femme que le personnage revient sur nos écrans. Cette nouvelle Emmanuelleimaginée par la réalisatrice Audrey Diwan se lance dans une quête pour retrouver le plaisir qu’elle a perdu. Une relecture du roman d’Emmanuelle Arsan traversée par la question de l’omniprésence du sexe dans notre société et de la réappropriation du plaisir des femmes par elles-mêmes. Emmanuelle peut-elle se libérer du regard et du désir masculins ? L’érotisme a-t-il encore du sens dans une société qui montre tout ?
C’est un film où on parle plus qu’on ne fait des choses... Peut-être qu’Audrey Diwan a là incroyablement saisi l’époque.
Marc Godin, journaliste et critique de cinéma
D’Emmanuelle à Emmanuelle contient des entretiens exclusifs de la réalisatrice Audrey Diwan et de l’actrice Noémie Merlant réalisés sur le tournage du film à Hong Kong, des extraits du film culte, des interviews des derniers acteurs du phénomène de 1974 et des archives inédites du couple libertin à l’origine du roman.
C’est un film très cérébral… on n’est plus du tout dans la femme objet mais dans la femme sujet.
Marc Godin, journaliste et critique de cinéma
D’Emmanuelle à Emmanuelle
2 films au cœur de 2 révolutions sexuelles
Documentaire (90 min – inédit) – Auteures Élise Baudouin et Julie Delettre – Réalisation Théo de Preester – Production Bangumi et France Télévisions
D’Emmanuelle à Emmanuelle : 2 films au cœur de 2 révolutions sexuelles est diffusé mardi 24 septembre à 21.05 sur France 5
À revoir sur france.tv