Les sœurs Wachowski : parcours mythique d’un cinéma subversif

De Bound à la série Work in Progress, ce documentaire montre le chemin parcouru par les deux cinéastes dans le monde du cinéma conduit par Hollywood : de leurs débuts dans ce milieu réticent à leurs idées jusqu’au moment où elles réussissent à s’y faire une place. « Les sales gosses d’Hollywood piratent le système de l’intérieur ».  

Lana et Lilly Wachowski ont fait fort, « elles ont obtenu le droit d’être au cœur du système, tout en faisant des films sur le fait que le système est un piège » (Cáel M. Keegan, intervenant). Leurs réalisations sont parsemées de symboles et détails, métaphores des combats sociétaux qu’elles soutiennent. Anticapitalisme, féminisme, justice raciale et de classe, transidentité, structurent de manière plus ou moins visible toutes leurs histoires et scènes d’action. Elles s’inspirent aussi de l'univers LGBTQ+, qui se mêle parfaitement à celui des technologies et de la robotisation. Pour l’époque, Matrix questionne de manière révolutionnaire les identités face une société très frileuse vis-à-vis de ce sujet. Les réalisatrices veulent aussi montrer des rôles féminins plus intéressants. Grâce à Bound (1996), qui met en scène un couple lesbien, elles réussissent petit à petit à faire entrer leurs idées émancipatrices au cœur de l’industrie malgré des productions récalcitrantes. Elles défendent également un personnage qui aurait dû être femme dans un monde et homme dans l’autre. Les sœurs proposent une vision plus large de la société et s’attachent à donner une représentation juste des personnages. Ce qui fait peut-être la différence est l’espace qu’elles laissent aux personnes qui en ont le moins. Lana et Lilly Wachowski reçoivent par exemple les conseils d’une autrice lesbienne spécialiste en littérature érotique pour réaliser une scène de sexe dans Bound. Le résultat s’approche donc davantage de la réalité et non de l’érotisation du regard masculin. Elles font aussi appel à un consultant spécialisé dans les études post-coloniales sur la réalisation des Matrix. On y voit d’ailleurs des scènes édifiantes en écho au vécu de la communauté afro-américaine. Les sœurs portent une attention particulière aux scènes politiques et sont à l’écoute des acteur·rices qui incarnent leurs personnages.

Dans les films des sœurs Wachowski, « les héroïnes ou héros sont toujours écrasé·es par un système inégalitaire et piégé·es dans un monde cupide, sexiste », capitaliste et difficilement dépassable (Cloud Atlas, 2012 ; Jupiter, 2015). Mais elles s’attachent à montrer comment les personnes confrontées à cette oppression pourraient un jour y échapper. « Elles célèbrent la force des minorités contre l’ordre dominant avec beaucoup d’énergie », et les supportent notamment publiquement. Elles le font aussi en tant que femmes transgenres, un parcours que le documentaire met en parallèle avec l’évolution de leurs personnages dans le temps et leurs différents films. En plus d’avoir bousculé le cinéma, elles enrichissent les représentations de réussite pour la communauté trans et suggèrent la convergence des luttes, notamment à travers leur série Sense8. « J’aspirais depuis ma jeunesse à voir entremêlés la sexualité, le genre, la connexion entre les êtres. L’amour, l’intimité, le sexe doivent être accessibles à tous.tes. Je n’avais jamais vu ça. » (Lana Wachowski, à propos de Sense8). 

« Chez les sœurs Wachowski, le fond et la forme avancent toujours de concert »

Le cinéma des deux réalisatrices est révolutionnaire dans ses thématiques comme dans ses techniques. Elles et leurs équipes ont osé construire d’autres images en expérimentant. Le documentaire évoque l’effet « bullet time » par exemple, la caméra se place librement et l’action ralentit (Matrix). La créativité prend toute sa place et influe sur les plans de leurs œuvres tout en s’inspirant d’autres courants artistiques. « Leur cinéma explose les normes » car elles s’autorisent à changer de point de vue, à s’aventurer dans leur travail, tant dans le fond que la forme. 
Leur rapport au cinéma est issu du mélange de l’héritage de leurs parents, passionnés par cet art, du milieu dans lequel elles ont grandi (à Chicago, un quartier multiculturel et entouré de structures dédiées à la culture) et de leur vécus personnels d’autodidactes.
Mais ce que l’on pourrait retenir est leur façon de mêler humain et technologies, de donner leur place aux ressentis face aux constructions métalliques. Ce qui transpire de leur art et de la façon qu’elles ont de le faire, c’est l’écoute des autres. Elles ont longtemps refusé les interviews car elles voulaient laisser aux spectateur·rices l’espace d’imaginer, de développer leurs propres pensées. 

Leur cinéma est sûrement à leur image, il remet l’humain au centre d’histoires de science-fiction traversées par de multiples réflexions sociétales et philosophiques de manière grandiose : la vie. 

All I’m offering is the truth.

(Toute ce que j’offre, c’est la vérité.)

Morpheus dans Matrix (1999) 

De Matrix à Sense8, la révolution Wachowski

Collection « Rebelles ou l’art de bousculer »  

Documentaire(inédit – 61 min – 2024) – Un film de Thibaut Seve – Productrice exécutive Sally Blake – Cheffe monteuse Yasmina Jaafri – Musique originale Julien Thiault – Voix commentaires Hippolyte Peres – Artiste collagiste Juliet Casella– Production Capa Presse

Intervenant·es français·es :

Bilal Hassani, plus qu’un chanteur, une idole de la jeune génération. Une célébrité aussi pointue (cover boy de Têtu, égérie du cinéma queer), que queer grand public (jury dans l’émission Danse avec les stars, représentant de la France à l’Eurovision).
Lexie, jeune historienne d’art et militante trans, autrice du livre Une histoire de genres, guide pour comprendre et défendre les transidentités, également connue pour son compte Instagram Aggressively Trans.
Alexis Langlois, cinéaste dont le premier film, Les Reines du drame, a été projeté à Cannes cette année.

Vendredi 31 mai à 23.00 sur France 5 et sur france.tv 

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