Seule écrivaine française consacrée par un prix Nobel, en 2022, Annie Ernaux a fait de sa vie le support de son œuvre depuis la parution de son premier roman en 1974... Ce portrait sensible de l’écrivaine – d’un bout à l’autre de son existence – est celui d’une femme aux yeux grands ouverts sur le temps qui passe et nous pétrit. Un film de Coralie Miller à découvrir vendredi 29 novembre à 22.55 sur France 5 et sur france.tv.
Écrire depuis mon expérience de femme et d’immigrée de l’intérieur, depuis ma mémoire désormais de plus en plus longue des années traversées.
Annie Ernaux
En décembre 2022, Annie Ernaux vient recevoir à Stockholm le prix Nobel de littérature : « Je voudrais aussi vous remercier au nom de ceux qui ne sont pas ici : ces hommes et ces femmes qui ont parfois trouvé dans mes livres des raisons de vivre et de lutter, de se sentir plus fiers. »
Que raconter que ses livres n’ont pas dit ? À l’occasion de son grand retour dans sa ville natale de Lillebonne, en Normandie, alors qu’elle explore les lieux de sa prime enfance — « Le pays de Caux, c’est vraiment mon terroir » —, l’icône de plusieurs générations revient sur sa jeunesse et ce qui a fait d’elle la femme et l’écrivaine engagée qu’elle est devenue.
Descendante d’une lignée d’illettrés, elle est la fille d’ouvriers qui ouvriront plus tard un café-épicerie à Lillebonne, puis à Yvetot où elle grandira.
Cadette du couple, elle n’a pas connu sa sœur Ginette, morte à 7 ans de la diphtérie, dont elle ne découvrira la courte existence que lorsqu’elle aura 10 ans : « l’histoire d’un secret » qu’elle racontera plus tard dans L’Autre Fille (2011). « Si elle avait vécu, je ne serais pas née car ils ne voulaient qu’un seul enfant. »
Elle dit tenir de l’admiration que portait sa mère aux enseignants et aux écrivains son engagement littéraire et politique. « J’ai été élevée dans l’idée de l’égalité. » Son éducation dans un pensionnat catholique au milieu des filles de notables du coin nourrit sa « colère de constater que malgré tout je ressemblais à mes parents ». Le fossé se creuse entre eux et l’élève brillante, avec « le sentiment d’être passée d’un monde dans un autre et d’avoir été coupée en deux ». Elle partira étudier à Rouen, dans un lycée où Simone de Beauvoir a enseigné. Annie, qui a subi à 17 ans la violence sexuelle d’un homme, le racontera avec « l’étrange irréalité que revêt des années après ce qui est arrivé » dans Mémoire de fille (2016) : « C’est l’histoire du consentement. » Elle ne cessera de se battre toute sa vie contre l’injustice de la domination masculine.
Les années de fac lui ouvriront d’autres horizons et de nouvelles causes : « C’était le lieu de la liberté. »
Devenue professeure de lettres, elle épouse celui qui lui donnera le nom d’Ernaux. Ensemble, ils auront deux enfants, à Annecy, où ils se sont installés. Des années de vie de femme, épouse et mère qui entretiennent son « sentiment d’injustice » et retardent son envie d’écriture. Annie Ernaux a 34 ans lorsque son premier livre paraît en 1974 : Les Armoires vides.
À travers un parcours géographique et narratif, celui de ses vingt-cinq premières années, qui ont résonné durant les soixante années suivantes, le film – le seul pour lequel elle a accepté de témoigner depuis le prix Nobel – propose un portrait « autrement » d’Annie Ernaux, où s’entremêlent ses souvenirs personnels, lors d’une interview riche en confidences menée dans sa maison de Cergy, ses textes lus par une comédienne et, à travers les archives d’actualité, l’histoire du XXe siècle.
Il s’achève loin de sa ville natale, lors d’un drôle d’événement parisien où l’on retrouve Annie Ernaux aux côtés de Michelle Perrot et Laure Adler : le Contre-Salon des Vieilles et des Vieux. Là, ce n’est plus d’enfance mais de fin de vie qu’il est question. Car, à 80 ans passés, l’autrice pose encore et toujours les mots sur sa condition – d’une dame désormais âgée.
Extraits
« Quand je lis Proust ou Mauriac, je ne crois pas qu’ils évoquent le temps où mon père était enfant. Son cadre à lui, c’est le Moyen Âge. »
« Cette mémoire-là, c’est ce qui me fera dire que “je veux écrire pour venger ma race”. »
« Je suis née au milieu du monde et cette façon que j’ai d’écrire, en faisant sauter la barrière de l’intime – l’intime est social –, vient de cette non-distinction que j’ai eue dans mon enfance entre le privé et le public. »
« Il me semblait que je devenais une intellectuelle… Je mesurais ma chance incroyable : j’étais là où je n’aurais pas dû être. Je me disais : je suis sauvée quelque part. »
« L’écriture, c’est ce que je peux faire de mieux sans trahir. »
Annie Ernaux – Je suis née quelque part
Coralie a bouclé le film de ma vie.
Annie Ernaux
Documentaire (52 min – inédit – 2024) – Autrice-réalisatrice Coralie Miller – Textes lus par Marie Bucher – Production Tamara Films
Annie Ernaux – Je suis née quelque part est diffusé vendredi 29 novembre à 22.55 sur France 5
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