« L'Enchanteur » : retour sur l'affaire Gary-Ajar

Réalisé par Philippe Lefebvre, coécrit par les romanciers Maria Pourchet et François-Henri Désérable, L’Enchanteur revisite avec légèreté l'histoire d'une fameuse supercherie littéraire sous la forme d'un plaidoyer en faveur de la fiction mêlant réalité et invention. Avec Charles Berling, Claire de La Rüe du Can (de la Comédie-Française) et Pierre Perrier, lundi 12 février à 21.10 sur France 2.


Septembre 1975. Une jeune Niçoise débarque à Paris avec deux idées en tête, qui n’en font bientôt qu’une : rencontrer son écrivain favori et s’inscrire en études de lettres à la Sorbonne pour y préparer une thèse : « Le réenchantement du réel dans l’œuvre de Romain Gary ». La première partie de son projet est assez simple à réaliser, Gary a ses habitudes à la brasserie Lipp. La seconde, moins évidente. Snobé par l’université, Romain Gary (prix Goncourt en 1956 pour Les Racines du ciel) est désormais un romancier un peu passé de mode. Celui dont on parle, cette année-là, c’est Émile Ajar, qui publie La Vie devant soi – après Gros-Câlin en 1974. Un ton nouveau et un mystère : personne ne l’a jamais vu, mais les rumeurs vont bon train et on parle de lui pour le Goncourt.
On le sait aujourd’hui, Ajar n’est autre que l’auteur des Promesses de l’aube. Compagnon de la Libération, fidèle gaulliste, ancien diplomate, marié un temps à l’actrice américaine Jean Seberg, Gary est alors un séducteur vieillissant obsédé par la « gueule qu’on lui a faite », terrorisé par le déclin, comme l’illustre son dernier roman, tout juste paru, Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable. Il s’offre avec Ajar une seconde jeunesse, une nouvelle chance, un nouveau masque. Et une plaisanterie un peu cruelle. Seule une poignée de proches est dans la confidence : son ex-femme, son fils, son avocate Gisèle Halimi, son éditeur et ami Robert Gallimard et son petit-cousin Paul Pavlowitch, chargé d’incarner Ajar. Tout le monde ou presque tombera dans le panneau...

« L'Enchanteur »
« L'Enchanteur »
© Jean- François Baumard - FTV - 247 Max

Mais il y a cette anecdote, racontée par Gary lui-même et dont se sont emparé les scénaristes : « Parmi les lecteurs, une jeune femme prénommée Laure, après une analyse de textes aussi brève qu’implacable, avait entrepris de lui démontrer que Romain Gary et Émile Ajar étaient forcément une seule et même personne. Pour se défendre, Gary avait joué la vanité d’auteur : Ajar, avait-il dit, était influencé par lui, et d’une manière générale, l’influence qu’il exerçait sur les jeunes écrivains n’était pas assez soulignée, etc. » De ce point de départ – peut-être tout bonnement inventé par le romancier, qui sait ? –, Maria Pourchet* et François-Henri Désérable**, tous deux écrivains et lecteurs passionnés de Gary, ont suivi les fils. Ils ont trouvé au bout la matière d’une comédie à la fois grave et légère qui mêle réalité et invention, humour et émotion – ce qui est au fond bien dans la manière du maître illusionniste. « Nous avons imaginé le personnage d’Adèle, doctorante en littérature et originaire de Nice (où Gary a passé une partie de son enfance). Nous l’avons inscrite en thèse à La Sorbonne, avec l’idée qu’elle travaille sur son romancier préféré, dont elle a lu tous les livres avec ferveur. On est en septembre 1975, Adèle découvre La Vie devant soi qui vient de paraître, et cherche à rencontrer Gary pour lui faire savoir combien cet Émile Ajar, ce jeune auteur à la mode dont tout le monde parle, s’est largement inspiré de ses livres. Mais elle va découvrir peu à peu que Gary l’Enchanteur tire les ficelles de cette mystification sans précédent dans l’histoire littéraire. »

Cette histoire est donc vraie, et pour sa part qui ne l’est pas, nous pourrions dire, avec Boris Vian, qu’elle est vraie puisque nous l’avons inventée – en hommage à Romain Gary, cet immense écrivain qui savait comme aucun autre réenchanter le monde à travers la fiction.

François-Henri Désérable & Maria Pourchet

Pourchet et Désérable saissisent l’affaire Gary-Ajar au moment de son point de bascule (le prix Goncourt 1975) et bien avant la tragédie finale (cinq ans plus tard, Gary se suicide en laissant le manuscrit de Vie et mort d’Émile Ajar), ce qui leur permet de faire de ce conte initiatique un plaidoyer en faveur du pouvoir de la fiction et du dépassement du réel, le film s’achevant sur une lettre fictive de « l’Enchanteur » à sa lectrice l’enjoignant de devenir à son tour écrivaine. Un passage de la flamme, en somme, de la part de Gary (« brûle ! », en russe) et d’Ajar (« braise »).

* Dernier roman paru : Western, Stock, 2023.
** Dernier livre paru : L’Usure d’un monde, Gallimard, 2023. François-Henri Désérable avait déjà fait intervenir Romain Gary dans son roman Un certain M. Piekielny (Gallimard, 2021).

« L'Enchanteur »
« L'Enchanteur »
© Jean-François Baumard - FTV - 247 Max

L’Enchanteur

Fiction (2024 – inédite) – 90 min – Réalisation Philippe Lefebvre – Scénario Maria Pourchet et François-Henri Desérable – Production 247 Max – Avec la participation de France Télévisions

Avec Charles Berling (Romain Gary), Claire de La Rüe du Can, de la Comédie-Française (Adèle), Pierre Perrier (Paul Pavlowitch), Miranda Raison (Jean Seberg), Anne Charrier (Gisèle Halimi), Philippine Delaire (Martine), Gaspard Meier-Chaurand (Sergueï), Scali Delpeyrat (le professeur Meyer), Arthur Rémi (Rémy), Dominique Bastien (le patron de Lipp), Clément Moreau (le libraire)...

Diffusion lundi 12 février à 21.10 sur France 2
À voir et à revoir sur france.tv