TikTok, un cheval de Troie chinois ?
L’application préférée des jeunes serait-elle un outil de propagande pour le régime chinois ? Que sait-on exactement du fonctionnement de cette plateforme dont le succès fulgurant est planétaire ? Collecte de nos données personnelles, manipulation des opinions et désinformation… Ce film, suivi d’un plateau animé par Thomas Snégaroff, propose de pénétrer l’univers TikTok à l’algorithme et au développement très mystérieux. À voir dimanche 3 décembre à 21.05 sur France 5.
C’est une espèce d’opium digital que les Chinois déversent auprès de toute notre jeunesse.
Fabrice Epelboin, enseignant à Sciences Po, spécialiste des réseaux sociaux
TikTok, l'application préférée des jeunes, compte aujourd’hui près de 1,6 milliard d’utilisateurs dans le monde et presque un Français sur trois. Une plateforme de plus en plus puissante, accusée de collecter nos données personnelles, soupçonnée de les transmettre au régime chinois, et d'influencer également les opinions publiques... suscitant de plus en plus d'inquiétudes de la part de nombreux gouvernements. TikTok serait-il l'un des nouveaux dangers dans la guerre informationnelle que mène la Chine contre l’Occident ? Réponses avec cette nouvelle enquête de «La Fabrique du mensonge».
Des fils de vidéos, des ados accros et un succès planétaire : TikTok est devenue l’application la plus téléchargée au monde. Avec son algorithme spécialement conçu pour retenir l’attention des utilisateurs, la plateforme incarne la réussite de l’entreprise chinoise Byte Dance. Mais qui se souvient que son modèle est français ?
De Mindie à TikTok
Il y a dix ans, un groupe d’étudiants des Beaux-Arts à Paris développe une nouvelle application, Mindie, inspirée de Vine, l’appli de vidéos éphémères du moment. « C’était une époque où on capturait des vidéos à l’horizontale alors que tous les jeunes utilisaient leur téléphone de manière verticale, explique l’un des cofondateurs, Stanislas Coppin. C’est comme ça qu’on a inventé ce format des vidéos plein écran et un feed qui passe de vidéo en vidéo. » La musique joue un rôle important : « De la même manière qu’avec Instagram, les filtres ont permis d’améliorer les photos, nous on s’est dit que la musique va permettre d’améliorer la vidéo. » En quelques semaines, Mindie devient l'un des géants du web, vite repéré par la Silicon Valley et un entrepreneur chinois, Alex Zhu. En avril 2014, celui-ci lance Musical.ly, une appli très fortement inspirée de Mindie. Elle sera rachetée en 2017 par le patron de l’entreprise chinoise, Byte Dance, qui a créé une version chinoise, Douyin, limitée et très censurée. Il en lance alors une version fusionnée avec Musical.ly pour le reste du monde : Tik Tok. Le nombre d’utilisateurs grimpe en flèche…
D’un côté, on a nos enfants vulnérables et, d’un autre côté, les IA les plus puissantes du monde avec des données sur des milliards d’utilisateurs...
Guillaume Chaslot, fondateur d'AlgoTransparency
L’appli et le Parti
Pour beaucoup, TikTok, c'est un simple fil de vidéos en continu, avec des danses, des animaux, des chansons, des défis et des influenceurs stars aux millions d’abonnés. Et des jeunes complètement dépendants qui y passent en moyenne 1h47 par jour ! Mais la grande nouveauté apportée à l’appli, c’est son onglet « Pour toi » qui suggère du contenu ultra personnalisé. « Lorsqu’on a découvert cette expérience, c’était fascinant », se souvient Coppin. Ce fil va pourtant devenir le point d’entrée dans la bergerie. « Au bout de quelques heures d’utilisation, l’algorithme peut savoir l’orientation sexuelle d’un utilisateur, ses couleurs préférées, ses chansons préférées », explique Guillaume Chaslot, fondateur d’AlgoTransparency, ex-ingénieur chez Google. Un algorithme « beaucoup plus difficile à comprendre et à analyser que Facebook ou Twitter. » Mais « ce qui rend TikTok vraiment problématique, précise Paul Charon, directeur du domaine Renseignement, anticipation et menaces hybrides à l’Irsem, c’est son lien avec le Parti communiste et la nature du régime chinois qui n’est pas une démocratie. » Même si officiellement la maison-mère de Tik Tok, immatriculée aux îles Caïman, se défend de tout lien avec la Chine, le pouvoir va s’en servir comme d’un nouvel outil politique face à ses opposants. « Le Parti communiste chinois censure un certain nombre de sujets sur TikTok… Des mots d’ordre sont transmis aux dirigeants. » À l'image de ce qui s'est passé durant l'été 2019 lors des manifestations massives de la population contre une loi sécuritaire à Hong Kong : « Un grand nombre de contenus légitimes n’étaient tout simplement pas diffusés sur TikTok, rappelle Macrina Wang, journaliste au Newsguard, alors qu’on les trouvait sur les autres réseaux sociaux… Pourquoi est-ce qu’il y a eu un tel black-out sur la plateforme ? » Le système de gestion de contenus reste opaque, même pour ses modérateurs.
Soft power et manipulation
TikTok influencerait également les opinions publiques : ingérence électorale à Taïwan, surveillance des Ouïghours, propagande qui s'immisce aux États-Unis ou en France… En 2020, pendant le confinement, six cent millions de personnes téléchargent l'application. Sur le fil « Pour toi », la désinformation prospère : théories du complot, polémiques et fausses informations. « TikTok a offert à ces acteurs de la désinformation une audience encore plus large », constate Macrina Wang. Et au Parti une nouvelle plateforme pour diffuser une image positive du pays, sous forme de vidéos d'influenceuses. « Les Chinois investissent beaucoup dans la propagande informationnelle », estime Paul Charon. Le chercheur en désinformation au Doublethink Lab, Tim Niven, en est certain : « Pour le Parti communiste chinois, TikTok est un nouveau champ de bataille très important. » Odanga Madung, chercheur en désinformation, à la Fondation Mozilla, de constater : « L’utilisation politique de la plateforme est en forte augmentation ces derniers temps. » Or, depuis septembre 2022, TikTok est aussi devenu un moteur de recherche pour les plus jeunes, sans aucune modération...
La Fabrique du mensonge : TikTok, l'ombre chinoise
Documentaire (80 min – inédit – 2023) – Un film de Elsa Guiol –Production Babel Doc et Together Media, avec la participation de France Télévisions
Le débat
Après la diffusion du documentaire, Thomas Snégaroff proposera un débat avec deux invités : Ophélie Coelho, chercheuse en géopolitique, spécialiste du numérique, et Paul Charon, directeur du domaine « Renseignement, anticipation et menaces hybrides » à l'Inserm.
La Fabrique du mensonge : TikTok, l'ombre chinoise est diffusé dimanche 3 décembre à 21.05 sur France 5
À voir et revoir sur france.tv
Sur Lumni, La Fabrique du mensonge est disponible dans son intégralité.
« La Fabrique du mensonge » est une collection documentaire qui explique comment naissent et se propagent les fausses informations, qui en sont les instigateurs et comment ont contre-attaqué ceux qui en ont été la cible.
#Lafabriquedumensonge