« Split », l'utopie féministe d'Iris Brey

C'est une histoire de vertiges, d'émotions en spirale. D'abord, il y a cette mise en abîme, en forme de clin d'œil : Split se passe durant le tournage d'un film en hommage à l'actrice Musidora, la célèbre Irma Vep des non moins célèbres Vampires de Louis Feuillade (1915), et surtout femme libre et moderne, figure féministe avant l'heure. Puis, il y a toutes ces références que l'autrice-réalisatrice Iris Brey égrène comme un Petit Poucet facétieux, jouant avec le spectateur, ouvrant des pistes inattendues et réparant, l'air de rien, certains oublis de l'histoire (mentions à Colette et à Violette Leduc, extraits du film Thèmes et Variations [1928] de la réalisatrice méconnue Germaine Dulac, voix off de Delphine Seyrig, discrets sifflements en référence au Peau d'âne de Jacques Demy). « Je voulais montrer que tous nos combats ont une longue histoire, explique Iris Brey, et qu'il est important de rendre hommage à celles et ceux qui étaient là avant nous. » C'est que l'autrice-réalisatrice place Split sous l'égide de la pensée féministe et de l'acte militant.

Je voulais vraiment que les notions de désir et d'égalité soient présentes dans les scènes de sexe et que le désir ne passe pas par la domination d'un corps sur l'autre.

Iris Brey, créatrice et réalisatrice de « Split »

Critique engagée, spécialiste de la représentation des femmes à l’écran, elle est l'autrice du remarqué Regard féminin, une révolution à l'écran (L'Olivier, 2020), dans lequel elle analysait les films et les séries qui osaient placer le spectateur du point de vue de l’héroïne, s'affranchissant d'un regard purement masculin (pour ne pas dire machiste) et réinventant les codes visuels du plaisir et du désir féminins. Elle y insistait notamment sur la nécessité d’avoir accès à des œuvres valorisant ce type d'expériences. Joignant, d'une certaine manière, la parole au geste, elle traverse aujourd'hui l'écran pour réaliser une série où les expériences du corps féminin dessinent la possibilité d'une autre représentation, d'un autre regard, d'un autre rapport à l'autre. « Je voulais vraiment, explique-t-elle, que les notions de désir et d'égalité soient présentes dans les scènes de sexe et que le désir ne passe pas par la domination d'un corps sur l'autre. »

Je me suis permis une utopie, qui était que mes personnages allaient réagir avec amour.

Iris Brey, créatrice et réalisatrice de « Split »

Enfin, il y a l'usage graphique du « Split screen », séparant l'image en deux, tout à la fois pour signifier la déchirure mais aussi pour  réunir ce qui est divisé, créant, par juxtaposition, de nouvelles images proprement vertigineuses. « Ce qui m'intéressait dans le mot “split”, c'était sa polysémie, explique Iris Brey, ce double mouvement d'être ensemble et séparé […], pour montrer l'écartèlement de l'héroïne mais aussi la cicatrice qui recolle deux morceaux. » Car l'héroïne elle-même est prise de vertige — ce qui, pour une cascadeuse, est pour le moins problématique. Vertige « amoureux », s'entend : la jeune trentenaire (Alma Jodorowsky, toute en sensibilité et émotion), heureuse dans le couple hétéro qu'elle forme avec le chef opérateur du film, se laisse surprendre, submerger et finalement guider, par le regard que porte sur elle la comédienne qu'elle double (la chanteuse Jehnny Beth, au jeu aussi énergique que subtil). « Je me suis permis une utopie, qui était que mes personnages allaient réagir avec amour. » Pas d'antagonisme ici, pas de coups bas, de rancœur, de jalousie, pas d'éclats : Split est une série d'une infinie tendresse. Par touches délicates, jusque dans les scènes les plus intimes, au plus près des corps et des émotions, Iris Brey traduit avec grâce tout l'éventail de ces transformations silencieuses qui traversent ses personnages. « Il y a eu beaucoup de séries autour du “coming out”, commente Iris Brey. Split est une série sur la sortie de l'hétérosexualité. Je voulais montrer une jeune femme de 30 ans qui comprenait que c'était une possibilité. Tout à coup, ça pose la question d'un choix : et ça, je pense que c'est vraiment réjouissant ! »