Soirée-événement « Au cœur de la propagande russe » : un documentaire suivi d’un débat

C’est la rencontre entre une stratégie russe, qui est celle du chaos, et les algorithmes des réseaux sociaux.

Raphaël Glucksmann, député européen et président de la Commission sur l'ingérence étrangère

Comment le Kremlin a-t-il réussi, en à peine dix ans, à faire vaciller les démocraties occidentales et à influencer les opinions politiques en diffusant propagandes et fausses informations jusqu'à atteindre des personnalités de premier plan ? La soirée spéciale proposée par La Fabrique du mensonge permet à travers le documentaire d'Elsa Guiol et les analyses des invités de Karim Rissouli de comprendre la stratégie redoutable des Russes.

Lorsque la maternité de Marioupol est bombardée, le 9 mars 2022, faisant plusieurs victimes, les images terrifiantes des femmes blessées, évacuées sur des brancards, font le tour du monde. Sur les médias officiels russes, d'autres versions de l'événement sont racontées : seuls des militaires étaient présents ; des actrices jouaient le rôle des femmes. Et ces récits sont repris jusque dans la bouche de personnalités politiques françaises : « Quand vous voyez la façon dont Ségolène Royal reprend les délires de la complosphère, s'inquiète Raphaël Glucksmann, on voit que la propagande marche hyper bien ! » Car, pendant que les bombardements russes transforment les villes ukrainiennes en champs de ruines, de l'autre côté de la frontière, le Kremlin mène une autre guerre : une guerre informationnelle qui utilise une arme de destruction massive, les fausses informations. Des attaques qui découlent en fait d'une stratégie théorisée depuis une décennie et menée par l'état-major russe aux ordres d'un homme : Vladimir Poutine.
À la veille de sa troisième élection, en décembre 2011, Moscou et Saint-Pétersbourg sont le théâtre de manifestations massives contre sa candidature, les fraudes électorales et la corruption. « Des manifestations pendant lesquelles on va avoir un vent de liberté qui était vraiment très étonnant », rappelle Kevin Limonier, chercheur spécialiste du cyberespace russophone. Les rassemblements se sont organisés sur les réseaux sociaux, notamment avec V Kontakte, le Facebook russe. « À partir de ce moment, explique Kevin Limonier, l’État russe comprend qu’Internet et les réseaux sociaux,s’ils ne sont pas contrôlés, sont un danger pour sa survie et sa stabilité. » 
Après son élection en 2012, « un Vladimir Poutine à l'offensive » selon l'expression de François Hollande, met en place une politique conservatrice et répressive. Mais son objectif est plus large : déstabiliser les pays de l’Ouest responsables selon lui de la fracture de la Grande Russie. Dans le secret, le pouvoir russe prépare une offensive mondiale, alliant opérations de terrain et entreprises de désinformation : une guerre hybride. Une guerre qui dispose d'un nouvel arsenal multiple et protéiforme : les réseaux sociaux, les médias d'État, les influenceurs, les trolls et les bots.
Première cible : la Crimée en 2014. Pour rassembler la population russe contre les indépendantistes ukrainiens, Poutine reprend le mythe d'une Ukraine aux mains des nazis. « C'est là que nous avons réalisé, raconte le russe Ruslan Deynychenko, cofondateur du media Stop Fake, que la Russie avait créé une énorme machine à propagande pour laver le cerveau des Ukrainiens, pour influencer les gens et l’opinion publique, comme une extension de leur politique étrangère. »

Le film d'Elsa Guiol raconte comment cette offensive lente et discrète se répand partout dans le monde : de la crise indépendantiste en Catalogne à la dernière présidentielle à Madagascar, en passant par la défaite d'Hillary Clinton et la crise au Sahel. Derrière tous ces événements : l'ombre des Russes. Et une machine à infiltrer les médias et les réseaux sociaux : l’Internet Research Agency du milliardaire Evgueni Prigojine, « le cuisinier du Kremlin », à la tête d'un empire médiatique, déjà évoqué dans La Fabrique du mensonge. Sa ferme à trolls est à l'origine de milliers de comptes fictifs qui, partout dans le monde, diffusent en permanence de fausses informations. « La pratique du troll de la part de la propagande russe en ligne est une véritable stratégie d’acquisition d’audience, » explique Tristan Mendès France, maître de conférence associé, spécialiste dans les cultures numériques. Objectif, pour Loïc Guezo, stratégiste en cybersécurité : « Miner la confiance dans les systèmes démocratiques. »
En France, la crise des Gilets jaunes leur a offert en 2019 une nouvelle cible : « Ils comprennent parfaitement que ce qu’il faut faire, précise Raphaël Glucksmann, c’est utiliser tous les canaux possibles pour faire grandir un chaos qui est déjà là. » 
Comme au Sahel, plus récemment, où ils ont fait croître le sentiment anti-français, en s'appuyant sur les relais des influenceurs pour diffuser leurs fausses informations. « Nous sommes face à des adversaires qui utilisent des méthodes que nous, explique le général Pascal Ianni, porte-parole de chef d'état-major des armées (2021-2022), nous ne pouvons pas utiliser, car c’est contraire à nos valeurs. » Et les exactions commises sur le terrain sont évidemment ignorées par l'opinion publique. « Ce qui compte, c’est d’étendre l’influence de la Russie… Ils sont donc dans une logique de prédation. » 

Les intervenants 

Natalia, rescapée de Marioupol ; François Hollande, président de la République (2012-2017) ; Cécile Vassié, professeure en Études russes et soviétiques ; Alya Shandra, rédactrice en chef de Euromaidan Press ; Raphaël Glucksmann, député européen et président de la Commission sur l'ingérence étrangère ; Elsa Vidal, rédactrice en chef du service en langue russe de RFI ; Julien Théron, chercheur en conflits et sécurité internationale ; Marie Peltier, historienne spécialiste du composite ; Colin Gérard, chercheur spécialiste de la stratégie d'influence informationnelle russe ; Tristan Mendès France, maître de conférence associé, spécialiste dans les cultures numériques ; Loïc Guezo, stratégiste en cybersécurité ; Baptiste Robert, chercheur en cybersécurité ; Nicola de Pedro, chercheur spécialiste de la Russie et de la désinformation ; Antonio Baquero, journaliste d'investigation OCCRP ; Gaëlle Borgia, journaliste d'investigation ; Victor Terradellas, conseiller en relations internationales de Carles Puigdemont ; Kevin Limonier, chercheur spécialiste du cyberespace russophone ; Ketakandriana Rafitoson, directrice exécutive de Transparency International ; Maxime Audinet, docteur en science politique et en études slaves ; Pasteur Mailhol, candidat à la présidentielle à Madagascar ; Dama, candidat à la présidentielle à Madagascar ; Général Pascal Ianni, porte-parole de chef d'état-major des armées (2021-2022) ; Cyril Bensimon, journaliste Le Monde ; Leoni Cherkasky, rescapé de Boutcha ; Svetlana Brovchenko, rescapée de Boutcha

Le débat 

Après la diffusion du documentaire, Karim Rissouli proposera un débat de trente minutes avec :
Marie Peltier, historienne spécialiste du complotisme ; Raphael Glucksmann, député européen ; Jean-Maurice Ripert, ancien ambassadeur de France en Russie et Veronika Dorman, journaliste à Libération, ex-correspondante à Moscou

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La Fabrique du mensonge : Au cœur de la propagande russe

Documentaire (80 min - 2022 - inédit) – Auteure-réalisatrice Elsa Guiol – Commentaire Karim Rissouli – Coproduction Babel Doc et Together Media, avec la participation de France Télévisions

La Fabrique du mensonge : Au cœur de la propagande russe est diffusé dimanche 11 décembre à 20.55 sur France 5
À voir et revoir sur france.tv

Sur Lumni, retrouvez ce programme en intégralité ainsi que d'autres numéros de la collection.

La Fabrique du mensonge est une collection documentaire portée par Karim Rissouli qui explique comment naissent et se propagent les fausses informations, qui en sont les instigateurs et comment ont contre-attaqué ceux qui en ont été la cible.
#Lafabriquedumensonge