« Sélectionné », l’incroyable destin du « nageur d’Auschwitz » interprété par Amir Haddad

On le surnommait le « nageur d’Auschwitz ». Détenant l’un des plus beaux palmarès des bassins français (vingt et une médailles à son actif), l’athlète Alfred Nakache, garçon juif de Constantine né en 1915, a connu l’horreur des camps avant de s’imposer à nouveau, dans l’immédiat après-guerre, en haut des podiums. Un destin hors norme et quelque peu oublié, que ravive Amir, dans un seul-en-scène émouvant et incarné. Révélé par The Voice et couronné de deux albums certifiés platine, le chanteur n’avait encore jamais joué au théâtre. Sur scène, sa présence magnétique, son jeu intense, ainsi que sa ressemblance troublante avec le nageur font des étincelles. Le jeune comédien s’est impliqué dans le rôle avec passion, plongeant dans les archives d’époque, s’entretenant avec les descendants d’Alfred Nakache et allant même jusqu’à des entraînements de natation pour se fondre au mieux dans la peau du personnage. C’est que Sélectionné n’est pas tout à fait une pièce comme les autres : sublimé par la mise en scène tout en sobriété de Steve Suissa et le monologue vibrant écrit par Marc Elya, ce portrait répare les oublis de l’histoire en rendant hommage à un grand homme humble, modèle de dignité, de résistance et de résilience, dont la personnalité apparaît à même de guider notre époque troublée.

Je m’appelle Alfred Nakache. Pour la première fois, je vais me jeter à l’eau, et je n’en ressortirai plus.

Amir Haddad, dans « Sélectionné »

Aussi étonnant que cela puisse paraître pour un nageur de cette envergure, Alfred Nakache avait, enfant, la phobie de l’eau. Poussé par deux militaires basés à Constantine, anciens participants aux Championnats de France de natation, il finit par découvrir la joie des bassins et, à 16 ans, devient champion d’Afrique du Nord. Arrivé à Paris dans les années 1930 pour y poursuivre ses études, il termine deuxième aux championnats de France de 1934, sur 100 mètres. Il a tout juste 18 ans. En 1936, après avoir battu le record d’Europe du 4 x 200 mètres, Alfred Nakache prend la direction des JO de Berlin. Sous les yeux d’Hitler et de Goebbels, il hisse la France au quatrième rang de nage libre. Triple champion de France en 1938, il bat le record du monde du 200 mètres brasse en 1941. 1942 est son année la plus faste en termes de titres, mais aussi le début de sa descente aux enfers. Parce que juif, il est déchu de sa nationalité française, progressivement boycotté par la presse puis interdit de compétition, et finalement arrêté avec sa femme et sa fille de 2 ans. Tous trois sont emmenés à Auschwitz. Lui seul en reviendra. 
Dans les camps, Alfred Nakache et plusieurs autres déportés, bravant l’interdit, nagent dans des bassins de réserve d’eau insalubre. Ces expéditions plus que risquées, dont on ne sait si elles représentent pour lui un geste de désespoir ou au contraire un acte tourné vers la vie, valent au champion son surnom de « nageur d’Auschwitz ». Libéré par les Alliés, le 11 avril 1945, Alfred Nakache, qui ne pèse plus qu’une quarantaine de kilos, ne pense qu’à une seule chose : reprendre sa carrière. Son retour est fulgurant : à nouveau champion de France en août 1946, il bat alors le record du monde du 3 x 100 mètres trois nages. Il interrompt sa carrière dans les années 1950 après s’être qualifié pour ses deuxièmes Jeux Olympiques en 1948.