« Mascus, les hommes qui détestent les femmes » : enquête dans la manosphère
Des études alertent sur la montée du masculinisme, une idéologie prônée par des hommes qui estiment que leur virilité et leur statut sont menacés par les progrès de l’égalité entre femmes et hommes et appellent à la riposte. Banalisation des agressions sexuelles, appels au viol, racisme, harcèlements…, la plongée de Pierre Gault au cœur des communautés masculinistes révèle une culture de la haine des femmes. À partir du mercredi 10 avril sur france.tv.
Autant prévenir : cette enquête risque de vous piquer les yeux et les oreilles. Après ça, et comme le suggère une intervenante dans ce documentaire, il va peut-être falloir regarder quelques vidéos de chatons pour se nettoyer la tête et retrouver un peu de sérénité.
Mais commençons par les définitions. Il y a d’une part les « incels », des célibataires involontaires (involuntary celibates), qui se sentent opprimés parce que moches, et rejetés pour cette raison par les femmes. D’autre part les MGTOW, « les hommes qui tracent leur propre route » (Men Going Their Own Way). Eux crânent un peu en prétendant avoir choisi délibérément le célibat pour se désengager des relations hommes-femmes rendues à peu près impossibles par le poids des idées féministes dans la société. En vérité, comme les premiers, ils poursuivent de leur ressentiment, sinon de leur haine, les femmes, globalement menteuses, vénales, manipulatrices, castratrices, etc. En somme, des mâles en panique, et même en plein désarroi. La chercheuse Stéphanie Lamy, spécialiste de la désinformation et des réseaux masculinistes, exprime la chose plus crûment : « Ils ont peur pour leurs couilles. »
Le prêchi-prêcha des influenceurs mascus fleurit (si on ose dire) sur Internet et les réseaux sociaux. Les vidéos cartonnent et témoignent d’une parole assez peu finaude mais très libérée. « Dis adieu au mec que tu étais qui galère avec les filles » ; « Tu dois la punir quand elle te manque de respect » ; « La seule chose à faire avec les féministes : les tamponner » ; « Une femme, c’est comme du lait : faut vite la consommer avant la date de péremption, un homme, c’est comme du vin, ça va devenir un grand cru »… Mais il ne s’agit pas seulement de chouiner entre garçons sur une masculinité émasculée par une société aux mains de femmes qui ne sont plus des femmes. Il s’agit de prendre conscience, de choisir la pilule rouge (référence au film Matrix), de s’organiser et de réagir. Pour cela, il y a les forums de discussions, les stages d’autodéfense en forêt (pour retrouver l’idéal du guerrier et réveiller le mâle alpha), mais surtout les formations délivrées par des « motivateurs ». Car le masculinisme, c’est aussi un business qui exploite sans vergogne la stupidité et la misère affective et sexuelle.
« Une femme qui vous fait une dinguerie, elle doit pas repartir vivante »
Ainsi, Azurr apprend à distinguer les trois types de femmes : la brebis, la chienne et la louve. Pour bénéficier du Petit Guide de la nature féminine de Killian Sensei, il faut s’abonner à son AlphAkademy (29 euros par mois). Hugo RF (44 000 followers sur Instagram) est le plus exhaustif et propose des dizaines de modules de formations facturés entre 137 et 347 euros (mais, heureusement, il y a parfois des promotions) pour apprendre l’art de la séduction (en seulement sept étapes) ou, pour les moins patients, disposer du « décodeur, l’outil complet pour repérer les signes d’intérêt féminins et conclure comme un pro ». Sans oublier l’approche scientifique (plus les femmes ont de partenaires et moins elles sécrètent d’ocytocine, l’hormone de l’attachement) ou le romantisme : provoquer chez une femme un orgasme à chaque rapport grâce à la technique du crochet (on vous laisse découvrir).
Phénomène marginal ? Dans son dernier rapport publié en début d’année, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes alerte sur un ancrage « des réflexes masculinistes et des comportements machistes », notamment chez les jeunes hommes adultes. D’après ses chiffres, 52 % des 25-34 ans estiment qu’on s’acharne sur les hommes. 59 % qu’il n’est plus possible de séduire une fille sans être vu comme sexiste. Et, tandis que les groupes de drague de rues flirtent tranquillou avec l’incitation au viol, les idées d’extrême droite – mais comment s’en étonner ? – ne sont jamais bien loin des réseaux masculinistes : fachosphère et manosphère entretiennent des rapports plus que cordiaux. Mention spéciale à Jean-Marie Corda, qui n’apprécie guère le travail des femmes (« Mon épouse travaille pour moi, pour faire en sorte que je n’aie pas à me faire chier avec la vie ») mais se réjouit qu’on assassine des enseignants en France et va même jusqu’à avouer son admiration pour le néo-nazi Anders Breivik (qui massacra 77 personnes sur l’île d’Utøya en Norvège). « Hitler a-t-il fait le bien ? le mal ? Je ne sais pas. » Question difficile, en effet.
Enfin, si l’on était vraiment tenté de se rassurer en pensant qu’il s’agit pour l’essentiel de bêtise et de mots creux, terminons avec Mickaël P., qui déclarait dans une vidéo : « Une femme qui vous fait une dinguerie, elle doit pas repartir vivante » et qui, en janvier 2020, précisa, à l’intention de son ex-compagne, ce qu’il entendait exactement par là : quatre-vingts coups de couteau.
Mascus, les hommes qui détestent les femmes
Documentaire (52 min – 2024 – inédit) – Réalisation Pierre Gault – Produit par Everprod – Avec le soutien du Centre du Cinéma et de l’Image animée (CNC) – Avec la participation de France Télévisions
Documentaire disponible à partir du mercredi 10 avril sur france.tv