« Maria Casarès – Albert Camus. Toi, ma vie »

La réalisatrice Élisabeth Kapnist, avec le très beau documentaire « Maria Casarès – Albert Camus. Toi, ma vie », revient sur la relation amoureuse et intellectuelle exceptionnelle qui unit ces deux monstres sacrés durant près de quinze ans. Vendredi 29 mars à 23.05 sur France 5 et sur france.tv.

« Maria Casarès – Albert Camus. Toi, ma vie ». © Kuiv 2022

Un seul cœur aura battu en nous qu’on entendra encore, nous disparus dans le mystère du monde.

Albert Camus

Originaire de Galice et fille d’un républicain espagnol en exil, Maria Casarès n’a que 21 ans lorsqu’elle croise pour la première fois Albert Camus, le 19 mars 1944, chez l’ethnologue Michel Leiris. Ancienne élève du Conservatoire, elle a débuté sa carrière en 1942 au Théâtre des Mathurins, au moment où Albert Camus publiait L’Étranger. L’écrivain trentenaire vit alors seul à Paris, la guerre l’ayant tenu éloigné de son épouse Francine, enseignante à Oran.

Sensible au talent de l’actrice, Albert Camus lui confie le rôle de Martha pour la création du Malentendu en juin 1944. Ainsi débute leur histoire d’amour, qui s’achève une première fois en octobre 1944 lorsque Francine Faure peut enfin rejoindre son mari. Mais, le 6 juin 1948, ils se croisent boulevard Saint-Germain, se retrouvent et ne se quittent plus, malgré les absences répétées dues à leurs obligations familiales ou professionnelles... et malgré les infidélités de Camus. C’est la mort tragique de l’écrivain, en 1960, qui les séparera.

Une histoire d’amour hors norme

Pendant près de quinze ans, Albert Camus et Maria Casarès échangeront une volumineuse correspondance (environ 900 lettres), dont ce très beau film nous livre des extraits. « Tu es entrée, par hasard, dans une vie dont je n’étais pas fier, et de ce jour-là quelque chose a commencé de changer, écrit ainsi Camus. J’ai mieux respiré, j’ai détesté moins de choses, j’ai admiré librement ce qui méritait de l’être. Avant toi, hors de toi, je n’adhérais à rien. Cette force, dont tu te moquais quelquefois, n’a jamais été qu’une force solitaire, une force de refus. Avec toi, j’ai accepté plus de choses. J’ai appris à vivre. C’est pour cela sans doute qu’il s’est toujours mêlé à mon amour une gratitude immense. » 

Tout en revenant sur cette histoire d’amour hors norme (images d’archives à l’appui), le film nous plonge dans l’intimité secrète de deux amants qui chaque année fêtaient le 6 juin, date anniversaire de leur rencontre, comme s’ils étaient nés à nouveau ce jour-là. Guidés par les voix de Chloé Réjon (la narratrice), Natalia Dontcheva (Maria Casarès) et Loïc Corbery (Albert Camus), on revit les succès théâtraux de Maria, ainsi que les doutes et les défis personnels de Camus, qui reçoit le prix Nobel de littérature en 1957. « Ce que tu es est ce que j’aurais rêvé d’être si j’étais née homme », écrit Maria Casarès, qui en Camus a trouvé « à la fois père, frère, ami, amant et fils parfois ».

S’ils sont fascinés l’un par l’autre et guidés par leur œuvre théâtrale et littéraire, Maria Casarès et Albert Camus se rejoignent aussi par le sentiment d’exil qu’ils portent en eux : l’Espagne pour elle – elle a quitté son pays à 14 ans et n’y retournera qu’à la mort de Franco en 1975 – et l’Algérie pour lui.

Sentiment d’urgence

« Nous nous nous portions l’un l’autre, nous nous poussions l’un l’autre, et nous brûlions à qui mieux mieux ces jours qui, ensemble, nous étaient donnés », écrira plus tard Maria. Car le sentiment d’urgence est là. Le 4 janvier 1960, Camus meurt sur une route de l’Yonne dans un accident de la route. Il avait 46 ans et lui avait écrit, quelques jours plus tôt : « Depuis quinze ans tu n’as pas partagé ma vie, tu es ma vie. » La vie de Maria bascule du côté de l’indicible. Elle se jette à corps perdu dans le travail, quitte le TNP et connaît succès et fortune grâce à une comédie intitulée Cher menteur. Ironie de la vie, celle-ci conte une histoire vraie construite sur la correspondance amoureuse entre un grand écrivain et une actrice connue. 

Seize ans plus tard, Maria Casarès fera un mariage de raison avec un vieil ami, André Schlesser. À la mort de ce dernier, en 1985, elle s’installe à Alloue, en Charente. C’est là qu’elle mourra en 1996, à l’âge de 76 ans. « Y a-t-il plus passionnant voyage que celui de la vie, avait-elle écrit à Camus, jusqu’à la mort incluse ? » Catherine Camus, qui publia la correspondance des deux amants en 2017, y clôt son avant-propos* en ces termes : « Merci à eux deux. Leurs lettres font que la terre est plus vaste, l’espace plus lumineux, l’air plus léger simplement parce qu’ils ont existé. »


* Albert Camus, Maria Casarès – Correspondance (1944-1959), texte établi par Béatrice Vaillant, avant-propos de Catherine Camus, Éditions Gallimard, collection « Folio ».

Maria Casarès - Albert Camus. Toi, ma vie

Maria Casarès et Albert Camus
Albert Camus et Maria Casarès.
© Fonds Maria Casarès / IMEC

Documentaire (52 min – 2024) – Écrit et réalisé par Élisabeth Kapnist – Produit par Marie-Hélène Ranc et Vincent Sacripanti – Musique originale Jérôme Dédina – Conseillère historique Marie-Hélène Carbonel – Production Kuiv, avec la participation de France Télévisions et de TV5 Monde – Avec le soutien de la Fondation d’entreprise La Poste, de la Procirep-Angoa et avec la participation du Centre national du cinéma et de l’image animée 
Avec les voix de Chloé Réjon (la narratrice), Natalia Dontcheva (Maria Casarès), Loïc Corbery de la Comédie-Française (Albert Camus)

Maria Casarès – Albert Camus. Toi, ma vie est diffusé vendredi 29 mars à 23.05 sur France 5 et sur france.tv

Élisabeth Kapnist

Diplômée en lettres et en journalisme, monteuse de 1975 à 1985, Élisabeth Kapnist est une des cofondatrices des Ateliers Varan, lieu de formation au cinéma documentaire basé sur l’enseignement par la pratique et l’échange entre élèves. Elle a réalisé une quarantaine de films, parmi lesquels Jacques Lacan, la psychanalyse réinventée (2001), Le Rêve de Pierre, Saint-Pétersbourg (2003), À demain, je compte sur vous (2003), Sœur Emmanuelle, le cœur et l’esprit, Michel Onfray, philosophe, ici et maintenant (2008), Carolyn Carlson, le regard du geste (2010), La Vie en vrac (2011), Céleste et Monsieur Proust (2021)…

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Publié le 29 mars 2024