« Mortel karma » : avant-dernier inédit des « Petits Meurtres d’Agatha Christie »

Il n’y a pas si longtemps, alors qu’il amassait une fortune rondelette à la tête de son empire du luxe, Pierre Baldini était un homme d’affaires plein de morgue. Depuis la mort de sa femme, il est toujours très, très riche, certes, mais il s’est converti au bouddhisme et vit désormais entouré d’une bande de loustics assez perchés qui chantent, fument de drôles d’herbes et boivent des infusions non moins suspectes. D’où leur air ahuri, sans doute. Jade, la fille adoptive de Baldini, n’a pas eu droit à une telle transformation mystique, elle reste une petite peste friquée, hautaine et capricieuse – avec manteau en fourrure et chihuahua sous le bras –, qui n’apprécie guère la mode vestimentaire et les manières des hippies avec lesquels elle est forcée de cohabiter. Tout ce petit monde attend d’un moment à l’autre la venue d’un célèbre lama, venu tout exprès de Katmandou pour visiter ses ouailles.
Baldini n’aura pas la chance d’accueillir le sage. Mais ne dit-on pas qu’il vaut mieux s’adresser à Dieu qu’à ses saints ? Dans la nuit, il fait la rencontre du Bouddha en personne sous la forme d’une statuette à son effigie qui lui défonce le crâne et l’envoie direct postuler pour une nouvelle incarnation. Le château du milliardaire abriterait-il un loup déguisé en agneau ? Il devient cependant difficile de croire que les hurluberlus psalmodiants avaient une quelconque raison de trucider leur bienfaiteur lorsqu’il apparaît que Baldini s’apprêtait à déshériter sa propre fille au profit de ses nouveaux amis. Voilà donc la petite pimbêche dans le collimateur de la police. Et elle n’est pas commode, cette poison qui n’apprécie pas davantage les « gendarmettes en skaï » que les bouddhistes débraillés. Mais Gréco a une autre raison de s’intéresser de près à la jeune femme – et de faire preuve d’une douceur qu’on ne lui connaissait guère – depuis qu’elle a appris qu’elle était née le 6 mars 1950. Une date que la commissaire n’est pas près d’oublier…

Et comme si cette histoire ne comptait pas assez d’andouilles embrumées, voilà Beretta, à la suite d’un accident provoqué par Bellecour, devenu amnésique, totalement inoffensif, absolument benêt et insupportablement gentil ! La psychologue tente comme elle peut de camoufler la transformation aux yeux des autres et va se trouver obligée de tout mettre en œuvre pour aider le flic à redevenir celui qu’il est, un imbuvable macho « borné, menteur, sexiste, brutal et caractériel » (l’autre, le neuneu, risque tout de même de lui manquer un peu). Pendant ce temps, le divisionnaire Legoff, à la suite de l’ingestion de ce qu’il a pris pour du thé – en fait une « tisane » saisie chez les hippies – est parti pour un long, très long voyage hallucinatoire… Ça tombe mal, on annonce la visite du ministre de l’Intérieur, un certain… Jacques Chirac !