Les nationalistes au pouvoir : « L’Inde de Modi, la démocratie confisquée »

Il a été très impressionné par tout ce que le gouvernement chinois pouvait réaliser sans aucune forme d’opposition.

Nilanjan Mukhopadhyay, biographe, à propos de Narendra Modi

Les chefs d’État se l’arrachent, le président français en tête qui en a fait son invité d’honneur lors de la dernière cérémonie du 14 juillet, avant de le réinviter en janvier 2024. Narendra Modi, 73 ans, Premier ministre indien depuis une décennie, est un conquérant avec de grandes ambitions. À la tête d’une nation d’un milliard et demi d’habitants, il ne cesse de vanter la grandeur de son pays, « mère de toutes les démocraties », tout en s’employant à en saper les fondements. Quelques jours avant sa venue en France en janvier, dans le nord du pays, le leader indien a fait de l’inauguration du plus grand temple hindou jamais construit, sur les ruines d’une mosquée détruite par des extrémistes hindous, le point de départ de sa campagne.

« Qui n’est pas fier aujourd’hui d’entendre que nous sommes devenus la cinquième économie mondiale en une décennie ? », clame-t-il à des auditoires conquis. Dopée par une croissance spectaculaire, la nation indienne affiche désormais un PIB supérieur à celui de son ancien colonisateur, la Grande-Bretagne. Et pourrait devenir d'ici à quelques années la troisième puissance mondiale. La France est devenue son deuxième fournisseur d’armes après la Russie, et selon Suhasini Haider, rédactrice en chef de The Hindu, elle fait partie « des nations qui sont importantes pour l’Inde ». Une relation d'intérêt bilatérale : « Aujourd’hui, pour trouver un contrepoint à la Chine, puissance qui menace les équilibres du monde, explique Sophie Landrin, correspondante Asie du Sud pour “Le Monde”, l'Inde se trouve être une puissance nucléaire, et donc un partenaire indispensable. » 

Quand il est en meeting, Narendra Modi, c’est une rock star... Il épouse les émotions de son auditoire.

Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au CNRS

En deux décennies, les villes ont été transformées et l’image du pays a été complètement métamorphosée. L’Inde lance maintenant ses propres fusées sur la Lune. Mais qui bénéficie véritablement des retombées économiques de ce développement accéléré ? Et quelle est la face sombre de l’ultra-nationalisme de Narendra Modi ?

Sébastien Daguerressar, réalisateur et producteur de nombreux reportages en Inde, a été témoin de cette transformation, mais aussi de la fin du consensus social autour du pluralisme politique, s’érigeant en modèle de démocratie séculaire où les minorités religieuses et culturelles cohabitaient.
Aujourd’hui, la haine de celui qui n’est pas hindou s’est immiscée à la télévision et sur les réseaux sociaux. Les minorités musulmanes et chrétiennes sont persécutées au nom de l’hindouisme radical, et la liberté d’expression est menacée. Journalistes, artistes et militants sont aujourd’hui les cibles du pouvoir. Ce documentaire expose le virage radical de l'Inde vers un régime autoritaire, ultra-nationaliste et religieux.

Voilà comment on tue les musulmans aujourd’hui dans ce pays, personne ne se préoccupe de leur sort. Tout ça, c’est la faute du gouvernement de Narendra Modi.

Jaibuna, veuve de Pehlu Khan, agriculteur roué de coups en 2017

Un régime qui met en avant le développement du pays mais laisse de côté une grande partie de ses habitants. Comme 45 % des jeunes qui sont au chômage. «  Certains doivent attendre d'avoir 30-35 ans avant de décrocher un emploi ! » raconte cet étudiant de 25 ans. « Il nous dit que c’est aux jeunes de créer leur propre travail », déplore Jayati Ghosh, économiste du développement. Le gouvernement de Modi aime maquiller les chiffres. En 2021, la deuxième vague Covid entraîne « un drame humain épouvantable — 4 700 000 morts selon l’OMS – que les autorités n’ont jamais voulu reconnaître », explique Sophie Landrin. 

Ostracisation des journalistes indépendants et désinformation sont devenues la règle, tandis que les nouveaux présentateurs vedettes sur les chaînes acquises à la cause du BJP, le parti de Modi, attisent la haine contre les musulmans. En 2020, les attaques contre ceux de New Delhi – alimentées par des appels au génocide – ont fait une cinquantaine de morts, sans que la police ne réagisse et que les criminels soient punis. « Le gouvernement leur apporte du soutien par différents moyens, dénonce l'écrivain  Shruti Ganapatye, et cela prouve qu’il est d’accord avec cette manière de penser et le caractère violent de leurs actions. » L’ultra-nationalisme de Narendra Modi a changé le visage du pays, pour le meilleur et pour le pire. 

Quelqu’un qui ne respecte pas ma religion, je suis prêt à le tuer.

 

Vipin Yogi, volontaire à l'agence de protection des vaches

Le débat

Le documentaire sera suivi d'un débat présenté par Mélanie Taravant,
avec : 

• Guillaume Delacroix, journaliste, ancien correspondant de presse en Inde, co-auteur de Dans la tête de Modi aux éditions Actes Sud.
• Mélissa Levaillant, chercheure senior au sein de l'European Council on Foreign Relations, spécialiste de l'Inde et des enjeux de sécurité en Indo-Pacifique.
• Olivier Da Lage, chercheur associé à l'IRIS, spécialiste de l'Inde et auteur de L’Inde, un géant fragile, éditions Eyrolles.
• Vaiju Naravané, journaliste, correspondante en Europe du site d'information indien indépendant The Wire.

Le Monde en face : L’Inde de Modi, la démocratie confisquée

Présentation Mélanie Taravant
Documentaire (74 min – inédit – 2024) — Auteur-réalisateur Sébastien Daguerressar — Production Babel Doc, avec la participation de France Télévisions

L’Inde de Modi, la démocratie confisquée sera diffusé dans Le Monde en face dimanche 28 avril à 21.05 sur France 5
À voir et à revoir sur france.tv