Vincent de Cointet revient sur les conditions de construction du mur de l’Atlantique
À quelques semaines des célébrations du 80e anniversaire du Débarquement, découvrez l’histoire du mur de l’Atlantique. Pensé comme un rempart inviolable en cas d’invasion ennemie, il s’étendait de la Norvège au Pays basque espagnol. « Le Mur de l’Atlantique, une forteresse au service de l’ennemi » est diffusé mardi 7 mai à 21.10 sur France 3.
Ce ne sont pas seulement des ouvrages militaires qui servaient à empêcher un débarquement, ils représentent la quintessence de la mise en esclavage de l’Europe entière, qui a travaillé sur ces ouvrages de béton, et pour lesquels il y a eu de nombreux morts. C’est l’histoire du travail forcé.
Vincent de Cointet (« 20 Minutes », le 18 novembre 2023)
Ironie de l’histoire, les premiers bunkers ou blockhaus voulus par Hitler sur les côtes du Pas-de-Calais n’avaient pas vocation à protéger l’armée allemande d’un quelconque débarquement mais plutôt à soutenir les forces engagées dans le bras de fer avec les Anglais. Le Führer rêvait d’envahir le Royaume-Uni. Force fut de reconnaître que l’ennemi britannique donnait plus de fil à retordre aux armées du IIIe Reich qu’escompté. Il fallut donc revoir la manière d’atteindre l’ennemi, pour le contraindre, qui sait, à capituler. Puisque dans les airs il n’était pas possible d’anéantir ces valeureux adversaires, décision fut prise de les assiéger en mitraillant et coulant tous les navires qui ravitailleraient le Royaume-Uni. Et pour protéger leurs précieux U-Boote des bombardements alliés, les Allemands firent construire des bases sous-marines (à Brest, Lorient, Saint-Nazaire, La Rochelle et Bordeaux). Autant de constructions qui nécessitèrent matériaux et main-d’œuvre en nombre. L’Allemagne ne pouvait à elle seule fournir ce qu’imposaient ces ambitieux projets. Des chantiers gérés par l’organisation Todt (du nom de son fondateur Fritz Todt), un groupement de génie civil et militaire. Parmi ses faits d’armes, la construction des autoroutes allemandes débutées avant la Seconde Guerre mondiale et celle de la ligne Siegfried (en parallèle de la célèbre ligne Maginot). Une organisation qui avait été chargée par le Kaiser d’ériger ces premiers bâtiments sur la côte Atlantique et tous ceux qui suivirent. Et comme le maréchal Pétain ne voyait rien de mal à se mettre au service de l’occupant, on n’hésita pas à publier des annonces de recrutement dans la presse ou à solliciter les entreprises locales, quand on n’imposait pas aux maires de fournir des travailleurs (parmi leurs administrés) à l’organisation Todt. Il faut reconnaître que les salaires et les compensations proposés étaient alléchants. Travailler pour le IIIe Reich rapportait plus. En période de guerre, de rationnement et de chômage, certains, moins regardant, se laissèrent convaincre facilement. Et puis il y eut ceux qui volontairement tirèrent bénéfice de la situation, des entreprises du BTP, des petits commerçants, des artisans. À l’inverse, d’autres choisirent d’entrer en résistance en collectant et transmettant de précieuses informations sur les faits et gestes des Allemands le long de la côte (même après la création de cette « zone côtière interdite » qui limitait l’accès aux seuls résidents ou presque sur une bande de terre large de 20 à 30 kilomètres).
Quand, à la fin de l’année 1941, sur le front Est, la donne changea et que les États-Unis d’Amérique, à la même période, entrèrent en guerre aux côtés des Alliés, ordre fut donné de construire 15 000 blockhaus (au final 8 000 seront bâtis) et d’installer tout un attirail de défense sur la côte Atlantique (et sur les îles Anglo-Normandes). Le IIIe Reich voulait se protéger de toute invasion. Édifier un mur de défense nécessitait encore plus de main-d’œuvre. On alla quérir, entre autres, des prisonniers politiques espagnols, des prisonniers de guerre et des juifs détenus dans des camps de travail. Supposé inviolable, ce rempart, qui s’étirait des côtes norvégiennes à celles du Pays basque espagnol, ne résista guère au Débarquement du 6 juin 1944.
Mon frère a été réquisitionné comme tous les hommes de 18 ans pour aller travailler avec les Allemands. Si les Allemands demandaient vingt personnes, il fallait que [le maire] trouve ces vingt personnes. C’était surtout pour aller couper des gazons pour mettre sur les blockhaus. Tous les prés qui sont autour du village ont été coupés en morceaux. [C’était] pour les cacher des avions, comme ça ils croyaient que c’était de la terre (...). Y avait pas à dire non. À moins d’avoir un certificat d’un médecin, d’être malade ou quelque chose comme cela. Vous étiez réquisitionné et fallait y aller.
Louis Boutolleau, Noirmoutier
Des témoignages pour l’histoire
En donnant la parole à ceux qui vécurent ces années de guerre, de privation, d’occupation, qui étaient aux premières loges sur la côte ou dans les villes portuaires, le réalisateur retrace l’histoire de ce mur de l’Atlantique. Après avoir entendu les témoignages des uns et des autres et découvert les images d’archives mises en avant dans ce documentaire, sans doute regarderez-vous d’un autre œil les vestiges de ces fortifications construites à marche forcée. Retenez qu’à la fin de l’année 1943, ils étaient plus de 250 000 ouvriers à travailler à l’édification de ce mur.
Les témoins
Andrée Hecquet, habitante de Calais (Hauts-de-France)
Claude Pasturel, habitant de Périers (Manche)
Émile Ehret a passé toute son enfance à Quimperlé (Finistère)
Jean-Paul Lescorce a grandi à Soulac (Gironde)
Louis Boutolleau, habitant de l’île de Noirmoutier (Vendée)
Maurice Rouzeau a habité à Lorient jusqu’en 1942 (Morbihan)
Michel Brohier, habitant à Vierville-sur-Mer (Normandie)
Léon Gautier, vétéran, il avait participé au débarquement du 6 juin 1944 (avec le commando Kieffer). Un témoignage recueilli quelques jours avant son décès
Le Mur de l’Atlantique, une forteresse au service de l’ennemi
En décembre 1941, l’Allemagne nazie se lance dans ce qu’elle présente comme la plus grande entreprise de génie militaire depuis la Muraille de Chine : l’édification d’une ligne de fortification étendue de la Norvège aux Pyrénées, et destinée à protéger le IIIe Reich d’un débarquement allié. En France, la construction du mur de l’Atlantique a représenté un chantier pharaonique qui a bouleversé le quotidien des régions côtières. Supervisée par l’organisation Todt, elle a été à l’origine d’un gigantesque pillage de main-d’œuvre et de matières premières et a participé à la mise en esclavage d’une partie de l’Europe occupée. Elle a offert à des entreprises de toutes tailles l’opportunité d’affaires juteuses avec l’occupant tout en révélant les compromissions du régime de Vichy. Elle a servi d’instrument de la Shoah à travers le réseaux des « Judenlager », les camps de travailleurs juifs du nord de la France et de l’île anglo-normande d’Aurigny. Et elle a été la cible de missions d’espionnage décisives pour le Débarquement. Images d’archives, images en prises de vues réelles des vestiges du mur de l’Atlantique et témoignages des derniers acteurs nous racontent cette histoire.
Documentaire (94 min – inédit) – Auteur et réalisation Vincent de Cointet – CommentairesChloé Réjon – Conseiller historique Peter Gaida – Production Roche Productions – Coproduction l’ECPAD – Avec la participation de France Télévisions et Histoire TV – Avec le soutien de Centre National du Cinéma et de l’Image Animée et du Ministère des Armées et de la Fondation d’entreprise Carac
Ce documentaire est diffusé mardi 7 mai à 21.10 sur France 3
Le Mur de l’Atlantique, une forteresse au service de l’ennemi est à voir et revoir sur france.tv