« Le Chant des origines : le manuscrit grégorien d’Islande »

En Islande, l’histoire est toujours mêlée de légendes. Ainsi ces moines irlandais qui auraient, racontent les textes anciens, découvert les premiers l’île atlantique inhabitée et s’y seraient installés afin d’y vivre dans la solitude et la prière, avant de disparaître sans laisser de traces pour ne pas avoir à côtoyer les premiers colons païens norvégiens, à la fin du IX^e siècle. Avec Thorlák Thórhallsson, trois siècles après (les Islandais ont entre-temps adopté la religion chrétienne), on est en terrain plus sûr. Le futur évêque de Skálholt (le premier siège épiscopal fondé au sud de l’île, le second étant Hólar, au nord), considéré comme leur saint patron par les Islandais quelques années après sa mort en 1193 – mais seulement en 1989 par l’Église catholique ! – aurait étudié dans sa jeunesse six années durant à l’abbaye Saint-Victor de Paris, l’un des grands centres de la vie intellectuelle en Europe. Il n’en fallait pas plus pour l’imaginer ramenant dans ses bagages sur son île natale le chant grégorien, à mi-chemin de la prière et de la méditation. Une revanche posthume et lointaine des moines irlandais ?
Quoi qu’il en soit, un manuscrit acquis à la fin des années 1990 par l’Institut Árni Magnússon de Reykjavík (désormais AM 241 a II fol.) propose les chants d’un office dédié à saint Thorlak, composé en latin, sans doute au XIII^e siècle. Le chœur islandais Voces Thules et le contre-ténor Sverrir Gudjónsson se sont intéressés à ce manuscrit et ont formé le projet d’en interpréter les compositions. Ce qui n’était pas simple. Longtemps transmis par la mémoire et le geste, les chants liturgiques du Moyen Âge ont été fixés par écrit à partir du IX^e siècle à l’aide d’une notation musicale tout juste inventée, les neumes (du grec neûma, « inclinaison », que les médiévaux, amateurs d’étymologies imaginaires et de jeux de mots, lièrent à pneûma, « souffle » mais aussi « esprit » ou « âme », ce qui était à la fois faux et pertinent). Or, ces neumes ne sont déchiffrables aujourd’hui que par des spécialistes.

Voilà donc pourquoi Sverrir Gudjónsson, muni de reproductions du précieux manuscrit, est allé trouver Philippe Lenoble, musicien liturgiste, spécialiste du chant grégorien et de son interprétation, lequel l’a convié à rencontrer les moines de l’abbaye Notre-Dame de Fleury, à Saint-Benoît-sur-Loire, qui fut à la fin de l’époque romane l’un des grands centres de l’enseignement du chant liturgique et où l’on préserve encore ce patrimoine artistique. Ensemble, dans une sorte de « master class » très confraternelle, ils ont tenté de déchiffrer les mystères du « manuscrit de saint Thorlak » et d’en proposer une interprétation. Nourri de cette expérience artistique et spirituelle, et de retour chez lui, le contre-ténor convie à son tour les réalisateurs de ce documentaire à un pèlerinage à travers quelques lieux emblématiques – Thingvellir, siège du Parlement de l’Islande ancienne, traversé par la faille entre les plaques tectoniques américaine et eurasienne, la gigantesque et grandiose chute de Gullfoss, le geyser Strokkur – qui dessinent une géographie poétique et mystique de l’île. Le voyage s’achève à Skálholt où Sverrir Gudjónsson et les chanteurs de Voces Thules font renaître, huit siècles après sa création, le chant sacré dédié au saint patron de l’Islande.

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