L’affaire d’Outreau : une série exceptionnelle pour éclairer un effrayant fiasco judiciaire

12 enfants victimes d’agressions sexuelles, 4 adultes reconnus coupables, 13 personnes acquittés après trois ans de prison : des chiffres qui résument l’ampleur du fiasco judiciaire mais aussi des vies brisées dans l’affaire d’Outreau. Retour sur les faits grâce à une création documentaire. Chapitres 3 et 4 à découvrir ce mardi 24 janvier à 21.10 sur France 2. 

« L’Affaire d’Outreau ». © Agathe Vernet

C’est une série événement car, vingt ans après, six protagonistes acceptent de raconter une nouvelle fois leur histoire. Des témoignages qui s’inscrivent dans une affaire complexe où la réalité s’entremêle aux mensonges et aux manipulations, où la presse s’emballe pour un scénario écrit par un juge, avec la complicité de la principale accusée, une histoire qui transforme un inceste de palier en crime pédophile commis par un réseau de notables aux ramifications internationales. 
L’événement vient aussi de l’écriture singulière de cette série, fruit de la volonté commune, après des mois de travail, de l’équipe composée autour d’Agnès Pizzinide s’affranchir des codes du docu-fiction pour éclairer cette affaire. Le soin de réaliser cette véritable œuvre pour la télévision est confié à  Olivier Ayache-Vidal. Il nous en raconte la création.

Olivier Ayache-Vidal
Olivier Ayache-Vidal
© Sombrero Films / Atelier de Production / France 3 Cinéma

Sur quel constat de départ vous appuyez-vous pour démarrer votre projet de réalisation ?
Olivier Ayache-Vidal :J’avais envie de faire quelque chose de différent de ce que j’avais vu concernant les documentaires. J’ai moi-même réalisé pour le cinéma, le théâtre et aussi pour le reportage. J’ai donc voulu mélanger tout ça. Finalement, cette affaire, beaucoup de gens la connaissent. Il n’y avait pas de scoop à révéler. Il fallait trouver une narration originale, tout en s’appuyant sur le témoignage de quatre protagonistes de l’affaire, faire ressentir, vingt ans après, leurs souffrances et l’injustice.

Justement, quels furent vos objectifs ou les obstacles en termes de narration ?
O. A.-V. : L’obstacle principal a été indéniablement la complexité de l’affaire. D’abord, pour les « personnages », nous avions sur le même niveau d’importance quatre innocents – l’abbé Dominique Wiel, l’huissier Alain Marécaux, Daniel Legrand et Thierry Dausque – et deux enfants – François-Xavier Marécaux et Jonathan Delay. Le plus dur a été de démêler le vrai du faux. Me plonger dans le dossier de l’instruction était à mes yeux la seule manière de pouvoir imaginer une narration et une mise en scène en adéquation avec l’affaire. Pour plus de clarté, au montage, nous avons abandonné le parti pris chronologique au profit d’un déroulement personnage par personnage. Enfin, nous avions l’objectif de lever toutes les ambiguïtés et d’être fidèle à la vérité judiciaire.

Sans oublier bien sûr les enjeux que ce projet représentait aussi pour les protagonistes ?
O. A.-V. : J’ai été très touché par leur histoire. Je leur ai dit que j’étais à 100 % avec eux, que je voulais les défendre et leur rendre hommage, qu’ils ne se sentent pas trahis, qu’on soit fidèle à ce qu’ils ont vécu. Le premier spectateur du film, ce sont eux. Je tenais à ce qu’ils se sentent fiers d’y avoir participé.

Avez-vous eu des sources d’inspiration ?
O. A.-V. : J’aime beaucoup cette phrase : « La réalité n’est qu’un point de vue. » Je suis toujours fasciné par les récits qui amènent le spectateur à naviguer entre le passé et le présent, entre la réalité et la fiction, voire le fantastique. Dans le cas d’Outreau, mon inspiration principale est venue du lieu. À l’inverse du juge Burgaud, je me suis rendu à la cité de la Tour du Renard. En regardant ces immeubles en cours de destruction, en pénétrant dans ces cages d’escaliers décrépies, ces appartements vides, ces chambres aux papiers déchirés, j’ai essayé d’imaginer ce qu’il s’était passé. Puis est née l’idée principale de ma mise en scène : plonger le spectateur dans un voyage dans le temps et dans l’espace.
 

lieu du tournage
Studio de tournage.
© Sombrero Films / Atelier de Production / France 3 Cinéma

Expliquez-nous ce voyage spatio-temporel ?
O. A.-V. : Ce studio de tournage, c’est un cerveau où nous passons d’un espace à l’autre et où chaque personnage fouille dans sa mémoire et revisite ses souvenirs. Toutes les interviews se déroulent dans le studio. Et même celles réalisées ailleurs. Le décor fait que l’on croit qu’elles y ont été tournées. On retrouve le bureau du juge Burgaud, le salon des Delay-Badaoui, le commissariat de Boulogne-sur-Mer, les cellules des différentes prisons, l’école élémentaire de Samer, le tribunal de Saint-Omer et de Paris. Nous sommes dans une reconstitution mais plongés dans un jeu de pendule qui oscille entre le vrai et le faux. En adéquation avec l’instruction de cette affaire, où vous êtes en permanence ballotté entre la vérité et les mensonges.

Et pour créer cette reconstitution inédite pour la télévision, vous remixez plusieurs genres : théâtre, cinéma et documentaire ?
O. A.-V. :J’ai eu la chance de travailler avec une équipe très talentueuse, à l’instar du directeur de la photographie flamand Christophe Nuyens ou de la cheffe décoratrice Emmanuelle Roy qui vient du théâtre, pour ne citer qu’eux.
Nous sommes au cinéma avec l’attention portée au cadrage de l’image, au réalisme et les nuances du jeu d’acteur ; au théâtre à travers ses codes stylisés (comme pour le procès ou les scènes dans les familles d’accueil des enfants) ; et bien sûr dans un documentaire avec la précision de l’enquête journalistique, la force des interviews, la véracité des faits et des dialogues issus de procès-verbaux du dossier d’instruction, indispensables à un travail sérieux.

Un vrai challenge, cette mise en scène ?
O. A.-V. : J’avoue que j’ai eu quelques nuits blanches ! Mais je tiens à remercier Catherine Alvaresse, directrice des documentaires de France Télévisions, et son équipe pour leur soutien et leur enthousiasme, parce que ça n’était pas évident d’accepter un projet aussi audacieux tout en restant sobre et digne vis-à-vis du calvaire qu’ont vécu tous les protagonistes.

Propos recueillis par Béatrice Cantet
 

l'Affaire d'Outreau
« L'Affaire d'Outreau ».
© Agathe Vernet

Chapitre 3. le meurtre de la petite fille belge, 2002-2003

 Le 9 janvier 2002, dans une lettre adressée à France 3, Daniel Legrand fils reconnaît les faits et déclare avoir été témoin du meurtre d’une petite fille belge au domicile des Delay. Myriam Badaoui ainsi que deux de ses enfants confirment les faits. Thierry Delay nie. Des fouilles sont organisées mais ne donnent rien. La presse du monde entier accourt à Outreau, en quête d'une nouvelle affaire Dutroux, qui avait défrayé la chronique quelques mois auparavant. Seul un journaliste belge de la RTBF, Georges Huercano-Hidalgo, émet des doutes sur l’instruction du juge Burgaud. Rien n’y fait : en juillet 2003, 17 accusés sont renvoyés devant la cour d’assises pour viols avec acte de barbarie sur une vingtaine d’enfants de 3 à 12 ans.

Chapitre 3. Les procès 2004-2005

Le 4 mai 2004, accusés et accusateurs comparaissent devant la cour d’assises réunie à Saint-Omer. Pour les parents mis en détention comme pour les enfants placés, c’est la première fois qu’ils se retrouvent à nouveau réunis, parfois depuis quatre ans. Confrontée à ses enfants et aux personnes qu’elle a accusées, Myriam Badaoui craque et avoue son mensonge : ils n'étaient que quatre à abuser des enfants : elle et son mari, ainsi que Grenon et Delplanque. 

Par ces quelques phrases, elle met à mal toute l’instruction du juge Burgaud. Plutôt que d’en tirer les conclusions qui s’imposent, la cour décide de condamner, outre les deux couples mis en cause, six des personnes innocentées par Myriam Badaoui. Parmi eux, Thierry Dausque, Daniel Legrand, Alain Marécaux et Dominique Wiel.

Il faut attendre un second procès en appel à Paris, quelques mois plus tard, pour que la justice reconnaisse enfin leur innocence, le 1er décembre 2005, cinq ans jour pour jour après les premières déclarations des enfants du couple Delay-Badaoui.

L’affaire d’Outreau

Série inédite(4 x 50 min) – Écrite et réalisée par Olivier Ayache-Vidal et Agnès Pizzini – Production Les Films du Balibari

Les intervenants : Jonathan Delay, Thierry Dausque, Dominique Wiel, Daniel Legrand, Alain Marécaux, François-Xavier Marécaux

Liste artistique :Pierre Sorais (le juge Fabrice Burgaud), Ahlam Slama (Myriam Badaoui), Victor Vandecasteele (Thierry Delay), Pierre Olivier (David Delplanque), Adèle Sierra (Aurélie Grenon), Gilles Fisseau (Dominique Wiel), Pierre Cartonnet (Thierry Dausque), Rémy Gence (Alain Marécaux), Maceo Simon (Daniel Legrand)

Les épisodes 1 et 2 sont diffusés le mardi 17 janvier à 21.10 sur France 2 
Soirée continue le mardi 24 janvier, avec diffusion des épisodes 3 et 4, suivie d’un débat, animé par Julian Bugier
À voir et à revoir sur france.tv

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