« La Revanche de Bernadette Chirac », ou l’incroyable émancipation de celle qui est parvenue à se faire un prénom

Dimanche 8 octobre, à 21.00 sur France 5

Ambitieuse et indépendante de nature, elle a toujours aimé la politique. Bien qu’étant restée longtemps dans l’ombre de son mari, elle n’a eu de cesse de s’émanciper. Comment, en arrivant à l’Élysée en 1995, l’épouse silencieuse Madame Jacques Chirac a-t-elle su se faire un prénom et devenir la première first lady de l’ère moderne ?  Réponses dans ce documentaire convaincant et étonnant signé Valentin Mollette et Basile Roze. Interview

« La Revanche de Bernadette Chirac ». © Sipa

Interview de Valentin Mollette et Basile Roze

 

Quelle a été l’origine du projet ?
Valentin Mollette et Basile Roze : Nous aimons revisiter les figures populaires, c’est-à-dire celles qui, lorsqu’on raconte leur histoire, révèlent aussi beaucoup de nous et des grands mouvements qui traversent les époques. Après avoir dédié quelques documentaires aux présidents de la Ve (François Mitterrand, Charles de Gaulle), il nous a semblé que le temps était venu de décaler un peu notre regard et d’interroger ces figures familières mais souvent silencieuses que sont les premières dames. Bernadette Chirac était parfaite pour cela. La sortie en salles du film Bernadette n’a fait que renforcer notre intuition initiale : l’histoire de cette femme a quelque chose d’universel, d’intemporel. Elle est à la fois le produit d’un milieu et d’une époque, mais elle a réussi à se créer des interstices d’émancipation remarquables. Comme le formule l’une de nos intervenantes dans le documentaire : « On a tous été la Bernadette de quelqu’un. » Cette histoire-là, il nous fallait la raconter !   

« On a tous été la Bernadette de quelqu’un. » Cette histoire-là, il nous fallait la raconter !

Est-ce plus stimulant de révéler le parcours d’une personnalité finalement mal connue en France ?
V. M. et B.R. : Bernadette Chirac n’est pas inconnue des Français, bien au contraire. Elle est restée longtemps la « première dame préférée des Français ». Mais peut-être que sa nature profonde et ses aspirations, elles, ont longtemps été méconnues des Français. Pour le formuler autrement, nous savons beaucoup de Madame Chirac, mais nous connaissons finalement assez mal Bernadette. Derrière cette notoriété éclatante, il y a le combat d’une vie, la lutte d’une femme pour se faire une place. Il y a des révoltes silencieuses, des émancipations à bas bruit. C’est aussi tout cela que nous avons voulu raconter : cette histoire en propre, parfois totalement indépendante de celle de son époux. 

Diriez-vous que cela a été facile d’obtenir les témoignages exclusifs de Nicolas Sarkozy et François Hollande ?
V. M. et B.R. : Deux anciens présidents de la République interviennent dans notre documentaire et portent un regard contrasté sur la première dame qu’a été Bernadette Chirac. Mais Nicolas Sarkozy et François Hollande ont chacun eu un lien plus personnel avec Bernadette, et nous pensons que c’est cela qui a été déterminant dans leur désir de participer. Pour Nicolas Sarkozy, il y a une affection personnelle très ancienne, et si Jacques Chirac ne lui a jamais vraiment pardonné ses choix politiques, Bernadette a, elle, été un soutien infaillible de son parcours politique. Pour François Hollande, Bernadette Chirac a été une opposante politique au Conseil général de Corrèze, parfois cassante avec le président socialiste. S’il n’a pas d’amertume, il porte un regard amusé et empreint d’une certaine tendresse sur celle qui a été, il ne faut pas l’oublier, une femme politique, une femme de pouvoir à part entière.  

Parmi toutes ces archives inédites, y en a-t-il une ou deux qui vous ont particulièrement surpris ou touché ?
V. M. et B.R. : Une archive résume bien, à nos yeux, ce qu’aurait pu être la vie de Bernadette Chirac. En 1972, alors que son mari est un jeune loup politique dévoré d’ambition, elle décide de reprendre ses études, sans son accord. Jacques Chirac la rabroue, mais Bernadette persiste et s’inscrit en licence d’archéologie. Nous avons mis la main sur des clichés inédits des fouilles archéologiques auxquelles elle a participé. Sans trahir le secret de ces dernières, le visage qu’elle arbore sur ces photographies ne laisse planer aucun doute sur le plaisir qu’elle prenait à embrasser ses propres aspirations, ses propres rêves. Ces clichés racontent aussi le difficile parcours qui va être celui de Bernadette, tiraillée entre son obligation de servir l’ambition politique de son mari et son désir contrarié d’émancipation.

Bernadette Chirac et l'archéologue Yves de Kisch
Bernadette Chirac et l'archéologue Yves de Kisch
© Yves de Kisch

Sans divulguer les étapes clés de l’émancipation de Bernadette que vous nous révélez, le sommet Clinton-Chirac au féminin n’est-il pas le plus bluffant ?
V. M. et B.R. : Faire venir Hillary Clinton en Corrèze, c’est un coup de maître indéniable ! Bernadette Chirac n’a cessé de nous étonner et, lorsque nous préparions le film, les images de ce sommet Clinton-Chirac au féminin nous ont énormément amusés. Mais, passé le savoureux contraste d’Hillary Clinton déambulant dans les rues de Corrèze après avoir inauguré la ligne Washington-Limoges qui ne servira qu’une fois, cette scène nous en dit bien plus. Elle nous raconte la vista politique de Bernadette Chirac qui fait venir la firstlady au nez et à la barbe de Jacques Chirac alors qu’elle est en pleine ascension médiatique, elle nous raconte la solidarité, la sororité entre ces femmes qui tiennent leur rang – les infidélités supposées de Jacques font alors parler le Tout-Paris, et Hillary est en plein dans la tourmente de l’affaire Monica Lewinsky. Ces images ne sont pas seulement amusantes, elles nous touchent aujourd’hui car elles rappellent ce que les femmes de politique ou plutôt les femmes politiques de cette époque ont eu à subir. Il y a quelque chose de puissant à les voir le faire côte à côte, solidaires. 

C’est probablement cet humour qui a scellé, sur ses dernières années de vie publique, sa relation si particulière avec les Français.

Et le sens de l’humour de Madame Chirac le plus inspirant ?
V. M. et B.R. : Bernadette Chirac est pince-sans-rire, froide, parfois cassante. C’est l’image que l’on en a eue pendant longtemps. Mais quasi tous les interlocuteurs auxquels nous avons parlé ont évoqué son sens de l’humour, ses piques acérées qui font mouche, ses petites phrases assassines qui font sourire. Des archives inédites montrent cette facette-là dans le documentaire. Entre deux questions d’une journaliste, Bernadette Chirac s’esclaffe, plaisante. Publiquement, on observe cette métamorphose. La Bernadette effacée et timide des premières années est remplacée par une Bernadette Chirac plus âgée, plus libre, qui sait jouer de son image sur le plateau du Petit Journal ou aux côtés de Karl Lagerfeld ; elle est même parvenue à faire des penchants de Jacques pour la drague un vaudeville amusant dont elle joue sans honte. C’est probablement cet humour qui a scellé, sur ses dernières années de vie publique, sa relation si particulière avec les Français.  

La revanche de Bernadette Chirac
« La Revanche de Bernadette Chirac »
© Getty Images

La Revanche de Bernadette Chirac

Documentaire (Inédit – 90 min – 2023) Un film de Valentin Mollette et Basile Roze – Raconté par Valérie Lemercier – Production Bangumi et France Télévisions

Dimanche 8 octobre,à 21.00 sur France 5
À voir et revoir sur france.tv 

 

 

Publié par Béatrice Cantet le 27 octobre 2023
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