Vivre et survivre au temps de la ligne de démarcation
En séparant la France en deux zones, les Allemands, victorieux de 40, soumettent la population à leur diktat. Une nouvelle vie, faite de privation et d’obligations, de menace et d’insoumission. « La Ligne de démarcation, une France coupée en deux (1940-1943) » est le témoignage de celles et ceux qui en ont subi les conséquences. Un documentaire diffusé dimanche à 20.55 sur France 5.
Cette ligne est un mors que nous avons mis dans la bouche d’un cheval. Si la France se cabre, nous serrerons la gourmette. Nous la détendrons dans la mesure où la France sera gentille.
Le général von Stülpnagel au général Huntziger
C’est une frontière invisible, imposée par les Allemands, stipulée dans la convention d’armistice franco-allemande et signée à contre-cœur le 22 juin 1940, à Rethondes, par le représentant de la délégation française, le général Charles Huntziger. Désormais, ce ne sont plus les bombardements qui vont dicter le quotidien de la population française mais ces deux zones (occupée et non occupée).
« Partant de la frontière espagnole, au niveau de la commune d’Arnéguy, dans le département des Basses-Pyrénées (Pyrénées-Atlantiques actuelles), la ligne de démarcation, passant par Mont-de-Marsan, Libourne, Confolens et Loches, remonte jusqu’au nord du département de l’Indre pour bifurquer à l’est et, après avoir traversé Vierzon, Saint-Amand-Montrond, Moulins, Charolles et Dole, rejoindre la frontière suisse au niveau de Gex. » (Source : La Ligne de démarcation, collection « Mémoire et Citoyenneté », ministère de la Défense.)
Les souvenirs d’une vie bridée
Il suffit de prendre une carte de la métropole pour réaliser les conséquences de cette démarcation. Au nord, à l’est et sur la côte atlantique, l’envahisseur. Le gouvernement de Vichy, dirigé par le maréchal Pétain, gère ce qu’il reste de France libre. À sa façon et avec des idéaux bien arrêtés. Il institue l’État français (et son fameux « Travail, famille, patrie ») avec l’aide de Pierre Laval. Un régime autoritaire, réactionnaire et xénophobe avec lequel il entend refonder la France pendant que des millions de réfugiés tentent, eux, de regagner leur domicile et de reconstruire un semblant de vie. Claude, Monique, Jean, Lucienne, Victor, Henri et Georges sont les témoins de cet étrange quotidien dû à l’armistice de 40. Vécu au rythme des Ausweis (laissez-passer), arrestations, brimades, menaces, cartes interzone (format de carte postale préremplie permettant de communiquer avec l’autre zone). Et des traversées clandestines (prémices de la Résistance). Leurs souvenirs sont aussi émouvants que les images choisies pour illustrer leurs propos. N’oubliez pas en les écoutant qu’ils n’étaient à l’époque que des enfants ou des adolescents. Nombreux sont ceux à avoir bravé les interdits pour transmettre de précieux messages, des colis, sauver leur vie ou celle des autres en franchissant cette ligne de démarcation. « Je pense que l’histoire du héros, c’est bon dans les catalogues, dans les trucs comme ça, mais non, on ne pense pas du tout à ça, explique Jean Grenier-Godard. C’était un enchaînement qui se faisait, qui était naturel. On le faisait parce que c’était le moment, qu’il fallait le faire. »
Ici, à Montrichard, on n’avait pas faim. Parce que, d’abord, nous étions dans l’alimentation, ça facilitait quand même les choses. Et puis on pouvait élever des lapins, des poules. Ce que nous faisions. Et puis il y avait les fermes que nous connaissions à côté... À la campagne, on n’a pas eu faim. À Paris, c’est autre chose. Dans les villes, c’est autre chose.
Monique Fermé
Les intervenants
Claude Lecomte a 15 ans à l’époque de la ligne de démarcation. Il fait passer quelques personnes avec ses parents, frères et sœurs à Montpon, village de Dordogne coupé en deux par la ligne. Il est issu d’une famille de cinq enfants. Ironie de l’histoire : son père, originaire du Nord, avait fui sa région natale et s’était installé à Montpon en 1924 pour éviter une invasion similaire à celle de 1914.
Monique Fermé a 11 ans en 1940. Elle habite avec ses parents au niveau de la ligne de démarcation à Montrichard (près de Tours). Ses parents font d’abord passer des gens, puis finissent par participer activement à la Résistance en réceptionnant et en cachant des armes parachutées de Londres.
Jean Grenier-Godard a 12 ans en 1940. Sa mère, Blanche Grenier-Godard, est à la tête d’un réseau de passeurs à Dijon.
Lucienne Mandelbaum avait 14 ans lorsqu’elle échappe à la rafle du Vél’d’Hiv. Elle raconte l’exil de sa famille vers le sud et le passage de la ligne.
Victor Haïm est un dramaturge français. D’origine juive séfarade, il a 6 ans lorsque, en 1941, il quitte Nantes pour se réfugier en zone libre après avoir passé la ligne de démarcation. Il vit clandestinement avec ses parents et sa sœur dans le Massif central.
Henri Ostrowiecki a 5 ans lorsque sa mère, juive, est déportée. Malade, il est emmené à l’hôpital Rothschild où il est exfiltré grâce aux infirmières. Il raconte cet épisode ainsi que son enfance sous l’Occupation.
Georges Parnon est un jeune adolescent lorsque la guerre éclate. Il habite à Sault-de-Navailles, dans les Pyrénées-Atlantiques. Le village est divisé entre zone libre et zone occupée.
Claude Chabrol a réalisé un film sur les conséquences de cette fameuse frontière intérieure
En 1966 sort en salles La Ligne de démarcation de Claude Chabrol. Le scénario, cosigné du réalisateur et de Gilbert Renault, est une adaptation de La Ligne de démarcation, l’épopée des passeurs et des évadés de Gilbert Renault (sous le nom de colonel Rémy, il fut résistant et fondateur du réseau de renseignements Confrérie Notre-Dame). L’histoire raconte la vie quotidienne, en 1942, des habitants d’un petit village situé aux environs de Dole, dont certains appartiennent à un réseau de résistance qui a pour mission de faire passer la ligne de démarcation.
La Ligne de démarcation, une France coupée en deux (1940-1943)
Entre juin 1940 et mars 1943, la ligne de démarcation a séparé les Français dans leur propre pays. Cette frontière honteuse, longue de 1 200 kilomètres, a fracturé la France en deux. Au nord, la zone occupée par les soldats d’Hitler. Au sud, la zone administrée par le régime de Vichy du maréchal Pétain. Pendant presque trois ans, elle a commandé le quotidien des 40 millions de Français. Ce film rappelle l’existence de cette frontière unique dans l’histoire de notre pays et lève le voile sur la tragédie qu’elle fut : le théâtre des errements honteux de la collaboration comme celui des actes les plus courageux, les plus nobles.
Documentaire (90 min – 2021) – Auteur et réalisateur Vincent de Cointet – Commentaires Chloé Réjon – Compositeur Vencelsas Catz – Production Roche Productions, avec la participation de France Télévisions et Histoire TV – Avec le soutien de la Région Île-de-France, du Centre National du Cinéma et de l’Image animée, du ministère des Armées, de la Procirep - Angoa-Agicoa, de la Fondation d’entreprise La Poste et de la Fondation d’entreprise CARAC
Un documentaire diffusé dimanche 30 avril à 20.55 sur France 5
La Ligne de démarcation, une France coupée en deux (1940-1943) est à voir et revoir sur france.tv