« Moissons sanglantes » : dans les années 30, l’Ukraine subit une famine orchestrée par Staline
En 1933, le journaliste Gareth Jones ose dénoncer les pratiques du régime soviétique en Ukraine. Mais, face à la propagande d’État et à la désinformation, ses articles sont critiqués et ses accusations rejetées. Ce crime contre l’humanité, reconnu comme un génocide par le Parlement européen en décembre dernier, a fait entre quatre et huit millions de victimes. « Moissons sanglantes – 1933, la famine en Ukraine » est diffusé dimanche à 22.55 sur France 5.
Un service pour recueillir les enfants a été organisé. Ces enfants ont été abandonnés par leurs parents, lesquels s’en retournent au village pour y mourir. Espérant qu’en ville quelqu’un prendra soin de leur progéniture.
Il est indéniable que cette famine a été planifiée pour donner une leçon aux paysans. Le gouvernement de Moscou, en effet, a organisé, par des réquisitions implacables, la disparition complète de tout moyen de subsistance dans la campagne ukrainienne. Pourquoi la presse internationale ne publie rien sur cette boucherie organisée par le gouvernement soviétique ?Consul italien à Kharkiv
Il existe mille et une façons de mettre au pas ou d’exterminer un peuple ou une nation. Faut-il que l’homme soit vil, orgueilleux ou despote pour ainsi asservir d’autres hommes et les réduire à néant sans le moindre état d’âme.
En Ukraine, Staline a sacrifié des millions de vies humaines pour briser toute opposition à la collectivisation. La famine orchestrée par le Kremlin aurait fait entre quatre et huit millions de morts. À l’époque, des voix, trop rares, s’en sont offusquées. Des critiques rapidement et méticuleusement balayées par la propagande et la désinformation soviétiques.
Un homme s’approche de moi et me chuchote : « Dites-leur, en Angleterre, que nous sommes affamés. Nos ventres sont gonflés. Ils nous ont pris tout notre grain. Maintenant, c’est mille fois pire qu’avant la révolution. »
Un voyageur ukrainien au journaliste Gareth Jones
Gareth Jones voulait rendre compte des événements
Pour se rendre en URSS et mener son enquête sur le quotidien des paysans, le journaliste gallois Gareth Jones a besoin d’un visa, qu’il obtient de l’ambassade soviétique en omettant de dire qu’il ne travaille plus pour l’ancien Premier ministre Lloyd George. Il sait qu’il sera surveillé. Ce n’est pas son premier voyage là-bas. Il a raison de se méfier. Le 15 février 1933, l’ambassadeur d’URSS à Londres écrit le message suivant au directeur de la propagande à Moscou : « Lloyd George envoie Gareth Jones en URSS pour qu’il se fasse une idée sur le terrain du sérieux à accorder aux rumeurs qui circulent en Europe sur la situation critique de l’URSS. Je vous demande de prendre Gareth Jones en charge dès son arrivée à Moscou. De lui accorder une attention suffisante et de le mettre en contact avec les personnes et les institutions dont l’aide lui sera nécessaire. » Gareth Jones parle russe, un atout indéniable lorsqu’on veut pouvoir communiquer plus librement et ne pas se laisser influencer par la propagande. « Cela me rend fou de penser que certains viennent ici et, après avoir été menés par le bout du nez et bien nourris, rentrent dire que l’URSS est un paradis, écrit-il dans son carnet. Personne ne peut avoir une idée de ce qu’il se passe ici. Et surtout dans les campagnes. À moins de pouvoir parler aux paysans qui ont parcouru des centaines et des centaines de kilomètres pour venir chercher du pain dans la capitale. » L’un d’eux l’interpelle : « Donnez, pour l’amour de Dieu. Je viens d’Ukraine, et là-bas il n’y a pas de pain. Nous sommes en train de mourir. » Bien que les journalistes n’aient plus le droit de se rendre à la campagne, il prend le risque d’aller constater par lui-même. S’il se fait démasquer, il sera au mieux arrêté et expulsé.
Il faut dire qu’on n’hésite pas à tuer ou à emprisonner pour un grain de blé volé. Le blé n’appartient plus aux paysans depuis la collectivisation forcée des campagnes. Il appartient à la mère patrie, qui a besoin de devises pour financer l’industrialisation du pays et ainsi surpasser les États-Unis d’Amérique. Quitte pour cela à affamer (ou à déporter) les plus récalcitrants.
Le récit de Gareth Jones et les témoignages qu’il a recueillis laissent sans voix. Un compte rendu aussi glaçant que les rares images clandestines existant de cette tragédie. La propagande et l’exécution des directives soviétiques sont tout aussi stupéfiantes et ahurissantes.
On aurait tort de croire que tout cela est derrière nous, que de tels actes ne peuvent plus se reproduire en toute impunité.
J’aimerais tellement que le monde prenne conscience de la situation en Ukraine et que quelque chose soit fait pour soulager les souffrances des paysans.
Gareth Jones
La guerre d’indépendance ukrainienne
« La guerre d’indépendance ukrainienne est une série de conflits impliquant de nombreux adversaires ayant duré de 1917 à 1921 et ayant abouti à la création et au développement d’une république ukrainienne, dont la majeure partie a ensuite été absorbée par l’Union soviétique sous le nom de République socialiste soviétique d’Ukraine de 1922 à 1991. »
Source : Wikipedia
Y aura-t-il de la soupe cet hiver ? Ils ont pris notre terre, notre bétail et notre blé. On n’aura même pas vraiment de quoi semer cette année. Personne ne peut imaginer ce que signifie la faim. Nous l’avons déjà connue en 1921 [du temps de Lénine] et cette triste vie est à nouveau devant nous. L’avenir est sombre.
Un paysan au début des années 1930
Le Parlement reconnaît l’Holodomor comme génocide
« Dans une résolution adoptée ce jeudi [15 décembre 2022], le Parlement européen reconnaît la famine infligée par le régime soviétique à l’Ukraine dans la période de 1932 et 1933, connue sous le nom d’Holodomor, comme un génocide. Les députés condamnent fermement les actes qui ont entraîné la mort de millions d’Ukrainiens, et appellent tous les pays et organisations qui ne l’ont pas encore fait à suivre cet exemple et reconnaître le génocide.
La résolution est disponible dans son intégralité en cliquant ici. Elle a été adoptée par 507 voix pour, 12 contre et 17 abstentions. »
Source : Parlement européen
Ce n’est pas la faute de la nature, c’est la faute des communistes. Ils nous ont tout pris. Autrefois, j’aurais dû vous souhaiter la bienvenue et vous donner des poulets, des œufs, du lait et du bon pain blanc. Autrefois, nous nourrissions le monde. Aujourd’hui, nous n’avons même plus de pain. Ils sont en train de nous tuer.
Une paysanne ukrainienne répondant à la question « Pourquoi la famine ? » de Gareth Jones
La Case du siècle : Moissons sanglantes, 1933, la famine en Ukraine
Gareth Jones, un jeune journaliste gallois, pénètre clandestinement en Ukraine en mars 1933. La région connaît alors une famine totalement inédite aussi bien par son ampleur que par ses causes. Cette famine tenue secrète et décidée par Staline est politique. À son retour, le journaliste alerte le monde mais les mensonges et les manipulations soviétiques triomphent. C’est l’histoire du pouvoir de l’enquête et de la parole contre l’appareil d’État. C’est l’histoire d’un crime et d’un mensonge de masse.
Ce documentaire a remporté le Grand Prix Documentaire national au FIPADOC 2023 et le Prix Bernard Landier du jury lycéen au Festival du film d’histoire de Pessac en novembre 2022.
Documentaire (67 min – inédit – 2022 – déconseillé aux moins de 10 ans) – Auteurs Antoine Germa et Guillaume Ribot – Réalisation Guillaume Ribot – Commentaires Sharif Andoura et Aurélia Petit – Compositeur Éric Neveux et Clovis Schneider – Conseiller historique Nicolas Werth – Production Les Films du Poisson – Coproduction Lobster Films
Ce documentaire est diffusé dimanche 19 février à 22.55 sur France 5
La Case du siècle : Moissons sanglantes, 1933, la famine en Ukraine est à voir et revoir sur france.tv