Le triangle rose : « Homosexuels et lesbiennes face au nazisme »
À l’occasion de la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie (17 mai), le documentaire de Michel Viotte revient sur la persécution par le IIIe Reich d’hommes et de femmes en raison de leur orientation sexuelle et évoque l’enfer vécu par les détenus au triangle rose dans les camps de concentration nazis. Dimanche 12 mai dans « La Case du siècle », à 22.40 sur France 5.
Journaux spécialisés (avec parfois photos osées et petites annonces), bars, dancings, cabarets (le Kleist Casino, le Monbijou, le Violetta, le Domino…), première association militante au monde (Wissenschaftlich-humanitäres Komitee : Comité scientifique-humanitaire), Institut de sexologie du docteur Magnus Hirschfeld… Berlin représente durant la République de Weimar – et reste dans les mémoires – la capitale de l’homosexualité. Pourtant, le paragraphe 175 du Code pénal allemand, institué en 1871, au début de l’Empire, demeure en vigueur : il punit d’une peine de prison et de la perte des droits civiques les relations « contre nature », implicitement assimilées à la bestialité. Mais, dans les faits, les simples amendes restent plus fréquentes que les condamnations.
L’impression d’une parenthèse enchantée vient surtout du fait que le pire est à venir. L’accession d’Adolf Hitler à la chancellerie allemande, en janvier 1933, signe la fin de la fête transgressive et insouciante. Le célèbre cabaret L’Eldorado, cœur battant du Berlin gay, devient même – ironie cruelle – le quartier général du parti national-socialiste. Dans le cadre de leur entreprise d’assainissement moral et physique de la race aryenne, les nazis lancent la chasse aux prostitués et aux travestis, puis à tous les homosexuels et lesbiennes, jugés faibles, vicieux, menteurs, dégénérés, improductifs sur le plan biologique et surtout contagieux. Attaques homophobes dans la presse, lien entre homosexualité et judéité, encouragement de la délation, utilisation de la torture morale et physique pour extorquer des aveux : les arrestations sont multipliées par cinq dès 1934 et explosent après 1937.
Pour un peuple, le domaine de la sexualité peut être synonyme de vie ou de mort. Un peuple qui a beaucoup d’enfants peut prétendre à la domination du monde. (...) L’homosexuel est un homme radicalement malade sur le plan psychique. Je veux préserver l’œuvre d’assainissement racial que nous poursuivons pour l’Allemagne.
Heinrich Himmler, Reichsführer-SS, 1937
Ennemis de l’État, les homosexuels peuvent être incarcérés sans jugement et à titre préventif dans un camp de concentration où ils sont isolés des autres détenus par crainte de la contagion et identifiés par le chiffre 175 ou la lettre A (Arschficker : « baiseur de cul »). Lorsque l’on décide de distinguer les différentes sortes de prisonniers à l’aide d’un triangle de couleur, c’est le rose qui est choisi pour les stigmatiser. On estime pouvoir les guérir par une thérapie de choc faite de privations, de travail forcé, d’humiliations, voire de rapports sexuels forcés avec des prisonnières « asociales ». Pire : certains servent de cobayes pour d’épouvantables expérimentations sur la typhoïde et la malaria ou pour les essais délirants de « changement de polarisation sexuelle » du médecin danois Carl Værnet. D’autres enfin subissent les opérations de stérilisation et de castration du docteur Karl-Heinz Rodenberg.
La fin de la guerre et la libération des camps ne signifient pas pour autant la fin du cauchemar pour les prisonniers homosexuels, toujours sous le coup de la loi. Certains connaissant de nouveau la prison – parfois même condamnés par les mêmes juges. Dans ces conditions, beaucoup se taisent, d’autant que le statut de victimes des nazis leur est refusé et que la question reste longtemps taboue. Værnet s’enfuit en Amérique du Sud après avoir tenté de vendre son « traitement » à l’industrie pharmaceutique. Aucune charge n’est retenue contre Rodenberg, qui continue à exercer la médecine et meurt en 1995 sans jamais avoir été inquiété.
L’homosexualité a été dépénalisée en 1968 en RDA, en 1969 en RFA. Le paragraphe 175 a officiellement disparu en 1994 dans l’Allemagne réunifiée.
Homosexuels et lesbiennes face au nazisme
Débutant dans le contexte social et politique des années 20, tandis que la société européenne « tolérait » l’homosexualité, ce documentaire retrace les mécanismes de la répression et raconte l’enfer vécu par les victimes dans les camps de concentration. nazis Il rappelle aussi le long chemin nécessaire pour obtenir la dépénalisation de l’homosexualité et la reconnaissance des préjudices subis durant cette période sombre de l’histoire.
Le récit est porté par le témoignage de plusieurs survivants qui ont pu être enregistrés dans les années 90, avant leur disparition. Des photos personnelles de leur vie avant-guerre viennent illustrer leurs destins brisés. Pour évoquer en images les formes de la répression, d’importantes recherches d’archives ont été entreprises aux État-Unis –USC Shoah Foundation à l’University of Southern California ; United States Holocaust Memorial Museum (USHMM) ; National Archives and Records Administration (NARA) ; Library of Congress –, ainsi qu’auprès de nombreux fonds en France, en Allemagne et en Europe. Des documents rares et inédits ont ainsi été rassemblés qui témoignent de l’univers concentrationnaire. Des prises de vues ont également été réalisées dans les vestiges de camps (Ravensbrück, Sachsenhausen et Struthof) afin de restituer au plus près l’aliénation de cet univers contraint, la dépersonnalisation des individus et leur isolement.
Documentaire (2024 – 54 min – inédit) – Un film de Michel Viotte – Écrit par Michel Viotte, Jean-Pier Delaume-Myard, Edouard Lenormand – D’après une idée originale de Jean-Pier Delaume-Myard – Conseillers historiques Florence Tamagne, Jean-Luc Schwab, Régis Schlagdenhauffen – Musique originale Gréco Casadesus, avec la participation de Grégory Cotti – Graphisme Elise Desmars-Castillo – Production Ladybirds Films – En coproduction avec French Kiss Production – Avec la participation de France Télévisions, Histoire TV – En partenariat avec le Centre national du cinéma et de l’image animée, la Région Ile-de-France, la Région Occitanie, Montpellier Méditerranée Métropole, le ministère des Armées – Secrétariat général pour l’administration – Direction de la mémoire, de la culture et des archives, la PROCIREP-Société des Producteurs et l’ANGOA, la Fondation Carac et la Fondation Rothschild
Diffusé dans La Case du siècle dimanche 12 mai à 22.40 sur France 5
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