L’occupation à Hébron : un documentaire implacable et censuré
Hébron, la plus grande ville de Cisjordanie, avec ses 800 colons juifs et ses 215 000 habitants palestiniens, placés sous le contrôle de l’armée israélienne, est devenue l’une des zones les plus ségréguées et surveillées du Moyen-Orient. Au point d’en devenir un laboratoire. Ce film réalisé par deux Israéliens, censuré par les autorités de l’État hébreu, raconte comment la ville est devenue « la fabrique de l’occupation ». À voir dans « La Case du siècle », dimanche 23 avril à 22.50 sur France 5.
Hébron, c’est le laboratoire de l’occupation : tout ce que font les autorités israéliennes en Cisjordanie, et même à Jérusalem, a été essayé ici, à Hébron.
Michael Sfard, avocat des droits humains
La ville d’Hébron, symbole du conflit israélo-palestinien, est devenue un des endroits les plus surveillés et filmés au Moyen-Orient. Ce film critique des réalisateurs israéliens Idit Avrahami et Noam Sheizaf – devenu l’une des cibles du nouveau gouvernement israélien – raconte l’histoire d’un microcosme de l’occupation « où toutes les normes de la vie démocratique sont inversées », modèle pour les méthodes de contrôle israéliennes mises en œuvre dans l’ensemble de la Cisjordanie.
« L’occupation invisible » préconisée par l’administration militaire aux débuts de la prise d’Hébron, pendant la guerre des Six Jours en 1967, a fait long feu. En près de soixante ans, le contrôle de l’armée israélienne sur la population palestinienne n’a cessé de s’intensifier et, de provocations en intifadas et d’accords politiques en attentats, l’étau n’a cessé de se resserrer autour des habitants de la zone 2, sous autorité de l’État hébreu, incarnée par la rue Shuhada, principale artère commerçante.
Au bout de la rue, on trouve le tombeau des Patriarches où serait enterré Abraham (pour les juifs) ou Ibrahim (pour les musulmans), leur ancêtre commun. Les uns et les autres y viennent en pèlerinage. « Dès le premier jour, le tombeau des Patriarches a été pour nous un problème, se souvient Shlomo Gazit, premier gouverneur militaire des territoires occupés. Il n’y avait aucun doute qu’il fallait une solution qui permette aux Juifs d’y entrer et d’y prier tout en respectant son caractère de mosquée pour les musulmans. »
Le maire de l’époque Muhammad Ali Ja’abari, qui souhaitait « trouver un moyen de vivre avec et de ne pas provoquer les autorités israéliennes », cède au rabbin Moshe Levinger, à la tête des colons, une parcelle de terrain sur la colline de Keryat Arba, qui deviendra le point de départ de la colonisation juive en Cisjordanie. Plus tard, les femmes de la colonie décident de réinvestir les maisons de la communauté juive chassée du centre d’Hébron en 1929. Or, rappelle Shlomo Gazit : « Nous, le gouvernement, autorisions une présence permanente de juifs dans la région d’Hébron. Mais il était plus ou moins entendu de ne pas les laisser s’installer à l’intérieur de la ville. »
En 1980, l’attentat contre les Juifs de la rue Shuhada – qui fera six victimes et près d’une vingtaine de blessés – entraîne l’expulsion de Fahad Al-Qawasmi, le nouveau maire modéré de l’époque, qui recommandait pourtant d’« éviter de raviver les difficultés et les tensions dans la région ». Le contrôle militaire israélien sur la zone occupée se renforce. Au fil des années, les colons deviennent de plus en plus nombreux tandis que les jeunes générations de Palestiniens ne connaissent que l’oppression militaire. La révolte gronde et, en 1987, éclate la première intifada qui débouchera, six ans plus tard, sur la signature des accords d’Oslo…
La parenthèse d’un espoir de processus de paix ne sera que de courte durée.
Le film montre les tensions permanentes, la montée de la violence de part et d’autre, et les mécanismes de plus en plus répressifs, mis en place par l’armée israélienne, pour garder le contrôle sur une population palestinienne majoritaire, prise au piège de la topographie d’une ville ancienne et soumise au non-droit quotidien.
Les réalisateurs de Hébron, Palestine, la fabrique de l’occupation – qui ont été menacés de mort – donnent la parole aux témoins, habitants palestiniens, journalistes, commandants militaires d’Hébron, mais aussi à ceux, parmi les ex-soldats israéliens, qui dénoncent aujourd’hui des méthodes de répression de plus en plus inhumaines. Ils montrent surtout comment Hébron est devenue pour le gouvernement actuel d’extrême droite le laboratoire de l’occupation en Cisjordanie.
Extraits
« Mais personne n’avait prévu – après les accords d’Oslo –, y compris le gouvernement, de garantir aux colons la continuité de leur présence à Hébron. Les Juifs installés à Hébron se sont sentis abandonnés, trahis par le gouvernement israélien. » Ephraim Sneh, administrateur militaire en territoires occupés (1985-1987)
« Ce n’est pas seulement une question d’affrontement physique. C’est simplement d’être voisins, ils sont les uns sur les autres. » Yigal Sharon, commandant de la division israélienne à Hébron (1997-1999)
« Le monde doit savoir à quel point les Palestiniens sont victimes d’injustices. Ils ont transformé le centre d’Hébron en musée de l’apartheid. » Fayzeh Abu Shamsiya, résident palestinien d’Hébron, photographe-vidéaste
Les intervenants (personnes interviewées ou présentes dans les archives)
Muhammad Ali Ja’abari, maire d’Hébron de 1939 à 1976 ; Shlomo Gazit, premier gouverneur militaire des territoires occupés ; Fahad Al-Qawasmi, maire d’Hébron de 1976 à 1980 ; Danny Rubinstein, journaliste spécialisé Palestine ; Ariel Sharon, ministre israélien de l’Agriculture de 1977 à 1981 ; Noam Arnon, premier colon d’Hébron ; David Levy, ministre israélien du Logement de 1979 à 1990 ; Michal Arbel, professeur de littérature ; Miriam et Moshe Levinger, dirigeants des colons d’Hébron ; Amnon Cohen, conseiller pour les affaires arabes auprès du ministre Moshe Dayan ; Rafik Halabi, journaliste spécialisé Palestine ; Yitzhak Rabin, Premier ministre israélien de 1992 à 1995 ; Freddy Zach, gouverneur militaire d’Hébron de 1980 à 1981 ; Abed El Fatach Jaida, commandant du secteur palestinien d’Hébron ; Ronni Shaked, journaliste spécialisé Palestine ; Fayzeh Abu Shamsiya, résident palestinien d’Hébron, photographe-vidéaste
Les auteurs
« En un monde où la manipulation et le contrôle des populations s’exerce par les moyens technologiques, la puissance des armes, une architecture guerrière des murs et des clôtures, Hébron propose une image dystopique du futur, bien au-delà du seul conflit entre Israéliens et Palestiniens. Il montre ce qui se produit lorsque les institutions échouent, lorsque la loi cède à la force, lorsque l’extrémisme religieux devient une arme politique et lorsque l’égalité civique cède le pas à la domination ethnique. Hébron, c’est l’appel à la responsabilité des individus face à la chose politique, l’urgence d’une nouvelle pensée, fondée sur l’égalité des droits, le respect et la coopération des peuples pour un avenir meilleur. »
Idit Avrahami est la réalisatrice et la cocréatrice de plusieurs séries et films documentaires qui ont été diffusés sur les principales chaînes de télévision israéliennes et ont été salués par la critique. Son court métrage documentaire Institutional Abduction (2019) a été présenté à la Biennale de Venise 2019. Idit a été journaliste au quotidien israélien Haaretz. Elle est diplômée de l’école de cinéma et de télévision Sam Spiegel à Jérusalem et y enseigne actuellement la réalisation de films documentaires.
Noam Sheizaf est réalisateur de documentaires et scénariste. Noam a été le réalisateur de Meshulam, chef de la recherche et du contenu pour The Corridors of Power et The Human Factor de Dror Moreh ; et scénariste pour Lieberman (de Nurit Keidar). Noam a été journaliste et rédacteur en chef dans plusieurs journaux israéliens, et le fondateur du magazine en ligne indépendant +972, auquel contribuent des journalistes israéliens comme palestiniens.
La Case du siècle : Hébron, Palestine, la fabrique de l’occupation
Grâce aux images d’archives et aux entretiens avec les commandants militaires d’Hébron, ce documentaire raconte l’histoire d’un lieu qui est à la fois un microcosme de l’ensemble du conflit et un site d’essai pour les méthodes de contrôle qu’Israël met en œuvre dans l’ensemble de la Cisjordanie. Un récit implacable mené par les réalisateurs israéliens Idit Avrahami et Noam Sheizaf. Un film critique qui est devenu l’une des cibles du nouveau gouvernement israélien.
Documentaire (52 min - inédit - 2023) – Auteurs-réalisateurs Idit Avrahami et Noam Sheizaf – Directeur de la photographie Avner Shahaf – Enquête Noam Sheizaf – Narration Léonie Simaga – Production Medalia Productions (Israël), Temps Noir (France), Filmoption International (Canada), Clin d’œil films (Belgique), avec le soutien de Hot8 / France Télévisions / NFCT / Mifal Hapais (Fonds culturel de la loterie israélienne) / RTS / SVT / AB Thématiques / YLE / RTBF / CoPro
Hébron, Palestine, la fabrique de l’occupation est diffusé dans La Case du siècle dimanche 23 avril à 22.45 sur France 5
À voir et revoir sur france.tv