« Femmes : les oubliées de la santé »
En France et partout dans le monde, en matière de santé, naître femme est un désavantage. Peu écoutées, parfois insuffisamment informées, souvent moins bien diagnostiquées que les hommes, moins rapidement soignées, beaucoup de femmes échappent aux radars médicaux. Un documentaire de Véronique Préault, diffusé dans « Le Monde en face » et suivi d’un débat animé par Marina Carrère d’Encausse, dimanche à 20.50 sur France 5.
À force de répéter que les femmes vivent plus longtemps que les hommes – ce qui est vrai –, on en oublie de préciser que leur espérance de vie en bonne santé, elle, est égale à celle des hommes, ce qui signifie qu’elles passent ce supplément de vie en mauvaise santé. On oublie d’autres faits encore, non moins vrais : que les accidents cardiaques ont triplé depuis 15 ans chez les femmes de moins de 50 ans ; qu’un tiers d’entre elles meurent de maladies cardio-vasculaires (infarctus et accidents vasculaires-cérébraux) ; mais que, moins nombreuses que les hommes à être victimes d’un accident cardiaque, elles sont plus nombreuses à en mourir ; que le nombre de cancers du poumon, s’il stagne chez les hommes, explose chez les femmes, y compris non fumeuses, etc. Comment concilier ces données parfois paradoxales et expliquer que, pour le dire clairement, être une femme soit aujourd’hui un désavantage en matière de santé ? La passionnante mais assez alarmante enquête de Véronique Préault avance quelques réponses.
Les unes, sans doute les plus évidentes, pointent les inégalités sociales et la précarité économique – les femmes représentent 70 % des travailleurs pauvres et 85 % des adultes composant des familles monoparentales, dont un tiers vit sous le seuil de pauvreté –, mais aussi la charge mentale, le surmenage, l’injonction à l’efficience non seulement professionnelle mais aussi familiale, éducative et domestique. Il y a d’autre part des préjugés qui ont la vie dure. Même si les femmes ne sont plus renvoyées aussi crument que jadis à leur condition de supposées hystériques, on les juge plus sujettes aux émotions, au stress, à la somatisation, aux irrégularités d’humeur, etc. Des préjugés qu’elles ont trop souvent intériorisés au point de minimiser ou de taire leur douleur : on estime qu’en moyenne les femmes appellent les urgences 15 minutes plus tard que les hommes. Quand il s’agit d’elles. Car, nouveau paradoxe : si elles rechignent à appeler les urgences pour elles-mêmes, elles le font plus souvent pour leurs proches, conjoints et enfants.
Enfin, il y a plus inquiétant encore : ces préjugés ont cours chez les médecins eux-mêmes, dont le diagnostic peut de ce fait être faussé. Au point de leur faire soupçonner un infarctus chez un homme… mais une crise d’angoisse chez une femme ! C’est d’autant plus grave que les symptômes des femmes peuvent être différents de ceux des hommes, prêter à confusion et être plus difficiles à décrypter. Peu écoutées, mal diagnostiquées, sous-dépistées, les femmes sont de surcroît souvent prises en charge trop tard, et de trop nombreux décès pourraient être évités. C’est sans doute l’un des aspects les plus troublants de ce documentaire : comment une médecine fortement sexuée et longtemps focalisée sur la grossesse, la contraception, les maladies sexuellement transmissibles, l’utérus – les fonctions reproductrices, en somme – et les seins, a appris aux femmes à se préoccuper de leur corps et de leur santé principalement et parfois exclusivement sous l’aspect de la féminité. Or, l’infarctus tue sept fois plus de femmes que le cancer du sein. Alors, faudrait-il leur rappeler qu’elles ont aussi un cœur, des poumons, des artères, etc. ? Gommer les différences ?
Ce n’est évidemment pas si simple : il s’agit plutôt de soigner les femmes et les hommes en tant que tels. Car, ce que désignent des praticiennes et praticiens de plus en plus nombreux, c’est bel et bien un biais de genre dont souffrirait la médecine et qui aurait des conséquences funestes. Un biais qui a retardé la prise en compte de la parole des femmes au sujet de leur douleur, qui a longtemps fait ignorer l’endométriose (qui touche 10 % d’entre elles), qui se manifeste par leur sous-représentation dans les essais cliniques, qui pousse à administrer des anti-douleurs plus forts à un homme qu’à une femme ou encore qui associe à tort des pathologies à un sexe ou à un autre : dans les troubles du spectre autistique, on compte une femme diagnostiquée pour quatre hommes alors que les deux sexes sont également touchés ; à l’inverse, si seules les femmes sont traitées pour l’ostéoporose, celle-ci intervient dans un tiers des fractures de la hanche chez les hommes. Ce qui est en cause, en fin de compte, c’est un défaut de connaissance du corps des femmes. Comment s’en étonner tout à fait devant ces ouvrages d’anatomie où des générations de médecins ont appris leur métier et où sont représentés quasi exclusivement des corps masculins ? De Léonard de Vinci à aujourd’hui, l’homme universel reste bien… un homme (blanc). Le patient aussi.
Après la diffusion du documentaire, Marina Carrère d’Encausse proposera un débat avec :
- Ariane Puccini, journaliste et coauteure de Mauvais traitements. Pourquoi les femmes sont mal soignées (Éditions du Seuil) ;
- Virginie Durant, auteure de Des barbelés dans mon corps (Éditions du Rocher), qui raconte son douloureux parcours médical dans le traitement de l’endométriose ;
- Muriel Salle, historienne, maître de conférences à l’université Claude-Bernard (Lyon), coauteure de Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ? (Éditions Belin) ;
- le docteur Gilles Lazimi, médecin généraliste, maître de conférences à la faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie.
Femmes : les oubliées de la santé
C’est une fatalité sournoise et méconnue. Aujourd’hui en France et partout dans le monde, des milliers de femmes meurent simplement parce que ce sont des femmes. Pourtant on croyait que les femmes vivaient plus longtemps que les hommes. Certes, mais cet avantage s’amenuise d’année en année, et surtout elles passent plus de temps que les hommes en mauvaise santé.
Dominique vient d’être admise aux urgences et opérée dans la nuit. Elle n’aurait jamais imaginé être victime d’une crise cardiaque. Cardiologue au CHU de Lille, Claire Mounier-Véhier a inventorié toutes les idées reçues qui s’additionnent, provoquant un retard dans le diagnostic des maladies cardio-vasculaires chez les femmes.
L’enquête se poursuit en retraçant comment, à chaque étape, les femmes subissent une perte de chance. Les femmes n’appréhendent pas ces maladies, qu’elles pensent réservées aux hommes. Du coup, elles ont tendance à appeler les secours plus tard que les hommes. Et il y a plus grave : les soignants eux-mêmes réagissent moins vite face à des symptômes cardiaques. Pour rendre les choses encore plus compliquées, les symptômes des femmes peuvent être différents de ceux des hommes et sont globalement plus difficiles à décrypter. Résultat : il y a davantage de femmes qui meurent de maladies cardio-vasculaires car elles sont diagnostiquées tardivement.
Documentaire (2022 - inédit) – 90 min – Réalisation Véronique Préault – Production Galaxie Presse – Avec la participation de France Télévisions