« Entre les murs »

Éclats d’école

France 5

Cinéma

France Télévisions rend hommage au réalisateur Laurent Cantet, mort le 24 avril dernier, en rediffusant son adaptation du roman de François Bégaudeau, Palme d’or au Festival de Cannes en 2008. Mardi 21 mai à 21.05 sur France 5.


En 2008, le jury cannois, présidé par l’acteur américain Sean Penn, réussissait son pari de créer la surprise en attribuant la Palme d’or – la première allant à une œuvre française depuis Sous le soleil de Satan, vingt ans plus tôt – à un film sans comédiens professionnels, sélectionné in extremis et projeté à la toute fin de la compétition. Les murs en question, ce sont ceux d’un collège en zone d’éducation prioritaire, dans l’Est parisien. Pendant un peu plus de deux heures, Entre les murs, inspiré du roman de François Bégaudeau – qui en cosigne le scénario et y tient le rôle principal –, raconte le quotidien de François Marin, jeune enseignant de français, et de la classe de 4e dont il est le professeur principal.
Si l’espace et les décors sont réduits à l’extrême – une salle de classe, la salle des profs, le bureau du principal, un conseil de classe, un conseil de discipline –, le temps, en revanche, s’étire sur une année scolaire entière, et le film rassemble quelques éclats prélevés dans la répétition des jours. Le récit quant à lui assume sa part de théâtralité : le rideau se lève, pourrait-on dire, sur la rentrée de septembre et sur une salle de classe encore vide, que le personnel d’entretien achève de préparer ; il se baisse sur la même classe abandonnée à son désordre, à la veille des vacances d’été. Entre les deux, il y a d’une part les coulisses : première réunion en salle des profs, puis on échange sur la composition des classes (« gentil… pas gentil… gentil… ouh la ! pas du tout gentil ! »), plus tard on débat (les sanctions, la machine à café, faire lire Voltaire ?), plus tard encore on craque… et puis, on y retourne. D’autre part, et surtout, la scène : le face-à-face de Marin et de ses vingt-cinq élèves : le brouhaha, le chahut, l’apprentissage de l’imparfait du subjonctif, les éclats de rire, la remise en question de l’autorité, les embrouilles, la rédaction laborieuse d’un autoportrait, les plaisanteries bon enfant, les invectives, les rappels à l’ordre, les affrontements, la lecture du Journal d’Anne Frank, la négociation permanente, toujours sur le fil.
La salle de classe est le lieu de rapports de force et de tensions que Marin, souvent narquois et volontiers provocateur, tente, sinon de déjouer, au moins de dévier pour en faire des enjeux de paroles. Pas toujours avec succès. Ça passe ou ça clashe. Il arrive que le professeur se laisse prendre au piège et s’enferre dans des impasses. Comme lorsqu’il s’entête vainement à exiger qu’une élève (Khoumba) lui présente des excuses – « Excusez-moi, Monsieur, d’avoir été insolente » –, qui plus est avec sincérité (elle lui lancera en partant « Je le pensais pas, hein ! »). Finalement dépassé par la violence d’un élève (Souleymane), dont il est peut-être bien en partie responsable, l’enseignant finit par en appeler à une autorité supérieure à la sienne, celle du principal, se révélant impuissant et sans illusion sur l’issue finale (la suite lui donnera raison). L’une des scènes les plus bouleversantes a lieu à la fin de l’année : Marin, dont le bagout est pourtant rarement pris en défaut, demeure désemparé et presque sans voix devant Henriette, restée à la fin du cours pour lui avouer qu’elle n’a rien appris au cours de l’année, qu’elle ne comprend rien à ce qui se passe là et qu’elle redoute d’être orientée en filière professionnelle.

« Entre les murs »
« Entre les murs ».
© Haut et Court

Succès critique et public lors de sa sortie en salles, Entre les murs est devenu de surcroît un étrange objet de débats, voire de polémiques parfois vives. Piégés par un sujet hautement inflammable et par l’utilisation par Cantet de certains des codes du cinéma documentaire, oubliant qu’ils avaient affaire à une fiction – des situations écrites, des personnages élaborés au cours d’ateliers d’improvisation, et souvent construits dans la distanciation et même le contre-emploi –, nombre de commentateurs (anciens ministres, enseignants, pédagogues, essayistes…), se sont interrogés sans fin : film de droite ? de gauche ? d’une neutralité coupable ? hommage au dévouement du corps enseignant ou au contraire constat d’échec des nouvelles méthodes pédagogiques ? avis de disparition de l’autorité des professeurs, sinon de la syntaxe française ? Certains, à la fin, crurent même devoir reprocher à Cantet et à son film de n’être pas plus clairs et de se prêter à des avis si divergents.
En 2009, François Bégaudeau revenant sur ce malentendu dans une interview donnée à Mediapart, déplorait qu’Entre les murs n’ait pas été véritablement vu : « Je pense profondément que ce film ne dit rien sur l’école. Il fait des choses dans une école fabriquée pour les besoins du tournage. Il reconstitue une salle de classe, une salle de profs, une salle de conseil de discipline. À l’intérieur de ces aires de jeu, il fabrique des scènes qui n’engagent qu’elles-mêmes et visent essentiellement la justesse intrinsèque, beaucoup plus que le mimétisme d’une soi-disant réalité canonique de l’école contemporaine. Tout juste nous sommes-nous inscrits dans l’espace de la vraisemblance. Il pourrait arriver qu’un élève demande à un prof de valider ou non la rumeur selon laquelle il est homosexuel. Il pourrait arriver que le prof, plutôt que de le faire taire, engage avec lui la discussion pour le mettre devant ses contradictions. Si on trouve la scène juste et forte, alors on se dit que tout ça pourrait arriver, oui. Mais ça ne veut pas dire que c’est arrivé, ou que ça arrive souvent, ou que c’est comme ça l’école d’aujourd’hui, etc.(1) » Au cours du tournage d’Entre les murs, Laurent Cantet ne disait au fond rien d’autre : « Pas un film sur l’école, mais un film dans l’école(2) ». Une façon de rappeler par avance aux débatteurs cette vérité à propos des images : ce qu’elles disent importe moins que ce qu’elles font.

(1) François Bégaudeau : « On n’a pas vu “Entre les murs” », Mediapart.
(2) Laurent Rigoulet, « Sur le tournage d’ “Entre les murs” », Télérama.

Entre les murs

François Marin est un jeune professeur de français dans un collège difficile. Il n'hésite pas à affronter Esmeralda, Souleymane, Khoumba et les autres dans de stimulantes joutes verbales, comme si la langue elle-même était un véritable enjeu. Mais l’apprentissage de la démocratie peut parfois comporter de vrais risques.

Film (France – 2008) – Durée 128 minutes – Réalisation Laurent Cantet – Scénario Laurent Cantet, Robin Campillo et François Bégaudeau – D’après le roman de François Bégaudeau paru Éditions Verticales en 2006 – Production Haut et Court – Avec la participation de France 2 Cinéma, Canal+, CinéCinéma, et du CNC

Avec : François Bégaudeau (François Marin), Agame Malembo-Emene (Agame), Angélica Sancio (Angélica), Esmeralda Ouertani (Esmeralda), Rachel Régulier (Khoumba), Henriette Kasaruhanda (Henriette), Wei Huang (Wei), Arthur Fogel (Arthur), Rabah Naït Oufella (Rabah), Franck Keïta (Souleymane), Louise Grinberg (Louise), Boubacar Toure (Boubacar), Burak Özyilmaz (Burak), Carl Nanor (Carl), Jean-Michel Simonet (le principal), Fatoumata Kante (la mère de Souleymane)...

Diffusion mardi 21 mai à 21.05 sur France 5
À voir et à revoir sur france.tv

Publié par Christophe Kechroud-Gibassier le 18 mai 2024