Collection Quentin Dupieux sur france.tv

Un pneu tueur lâché sur les routes de Californie (Rubber), des flics sans crime (Wrong Cops), un réalisateur à la recherche d’un cri (Réalité), un homme fusionnant avec son blouson à franges (Le Daim), un chômeur qui s’entête à retourner au bureau alors que son chien disparaît (Wrong) ou une interminable nuit de garde à vue (Au poste !) : bienvenue dans le petit monde cinématographique de Quentin Dupieux. Un monde indéfini et indéfinissable, aussi déjanté qu’enchanté, que le réalisateur le plus prolifique du cinéma français (treize longs-métrages en dix-sept ans) peuple de personnages étranges et de situations ubuesques (à moins que ce ne soit l’inverse).

– Mon rêve le plus cher, Georges, c’est d’être le seul blouson au monde. Je veux qu’on puisse se promener tous les deux dans les rues sans rencontrer d’autres blousons.
– Ça tombe bien parce que, moi, mon rêve le plus cher, c’est d’être la seule personne au monde à porter un blouson.

Jean Dujardin et son blouson dans « Le Daim » (2019) de Quentin Dupieux

Après être passé par la musique et le clip (sous le pseudonyme de Mr. Oizo), Quentin Dupieux débute au cinéma en 2007, avec la complicité d’Éric et Ramzy, avec Steak, improbable road-movie dans une sorte d’Amérique 80’s encore plus improbable, obsédée par le lait en bouteille et la chirurgie esthétique. Un ovni, déjà. Cinéaste de la liberté s’il en est – liberté de tons, de formes, de sujets –, Quentin Dupieux poursuit alors aux États-Unis avec Rubber,Wrong et Wrong Cops, faisant de l’absurde une seconde nature. Avec leurs faux airs de séries B fauchées, comme retrouvés dans les sous-sols d’un vidéo-club surréaliste, ses films imposent le jeune cinéaste comme la coqueluche du cinéma underground. Pour ses trois films suivants, le réalisateur quitte les grands espaces et les références américaines. Avec Réalité, Au poste ! et Le Daim, sans rien renier de son goût pour les décors indéterminés et les situations acerbes, il peaufine son art du dialogue à double fond et prouve que, dans ce domaine-là aussi, il excelle. Surtout, il s’affirme comme un détonant directeur d’acteurs (tendance roue libre) en s’arrogeant la complicité des plus grands (Alain Chabat, Benoît Poelvoorde, Jean Dujardin). Le reste, comme on dit, appartient désormais à l’histoire : Quentin Dupieux multiplie les castings haut de gamme (Anaïs Demoustier, Gilles Lellouche, Vincent Lacoste, Léa Drucker, Benoît Magimel, Adèle Exarchopoulos, Jonathan Cohen, Pio Marmaï, Édouard Baer et bientôt Léa Seydoux), enchaîne les films et les succès, jusqu’aux cartons de Yannick (460 000 entrées l’année dernière) et de Daaaaaalí (toujours en salles).

Je veux que ce soit le meilleur gémissement de l’histoire du cinéma.

Jonathan Lambert à Alain Chabat dans « Réalité » (2014) de Quentin Dupieux

Avant la consécration cannoise (son nouveau film, Le Deuxième Acte, fait l’ouverture du Festival, le 14 mai prochain, avant de sortir en salles dans la foulée), la collection que propose aujourd’hui france.tv, centrée sur les années 2010 à 2019, est l’occasion de saisir ce moment de bascule où le cinéma de Quentin Dupieux passe, pour ainsi dire, de Luis Buñuel à Raymond Queneau, des faux-semblants de l’image et des situations (décors abstraits de Wrong, esthétique minimaliste de Rubber) à ceux des mots (dialogues ciselés d’Au poste !). Six films indispensables, véritables pépites de drôlerie, de dinguerie et de noirceur, où son humour fait feu de tout bois, rappelant autant les pochades des Nuls (la présence d’Alain Chabat dans Réalité n’y est pas pour rien) que les saillies provocatrices de Bertrand Blier ou le nonsense à la Monthy Python. Regarder la collection Quentin Dupieux sur france.tv, c’est, en somme, accepter de sauter sans cesse du coq à l’âne sans plus savoir ce qu’est un coq ni un âne. Plaisir garanti !

Voir la grille des programmes TV disponibles cette semaine