« Chine : opérations secrètes » : quand l’Occident se réveille
De la France aux États-Unis, de Pékin à Djibouti, le film de Nolwenn Le Fustec et Antoine Izambard est le récit d’une guerre méconnue et sans merci, et d’opérations clandestines qui ont pour objectif de déstabiliser les démocraties occidentales et de faire de la Chine la première puissance planétaire à l’horizon 2049. Un documentaire suivi d’un débat présenté par Mélanie Taravant dans « Le Monde en face », dimanche 3 mars à 21.05 sur France 5.
Contrairement à la CIA, à la DGSE, au MI6, au Mossad, il est peu probable que vous ayez entendu parler du Guoanbu, le ministère de la Sécurité de l’État de Chine, c’est-à-dire en fait l’une des agences de renseignement les plus puissantes au monde, l’une des mieux dotées et des plus en pointe, et sans doute la plus offensive aujourd’hui. On estime qu’elle emploie plus de 100 000 personnes (contre 7 000 par exemple pour la DGSE française). Sa grande force : le recours à un réseau informel de « sous-traitants » à travers le monde, abrités par des officines commerciales, des associations culturelles ou d’entraide baptisées « poste de police à l’étranger ». L’ONG Saveguard Defenders a recensé une centaine de ces stations dans 53 pays – dont sept en France –, utilisées par les services secrets chinois pour des missions clandestines : surveillance, pressions, cambriolage et même enlèvements, notamment dans le cadre de la traque des opposants politiques réfugiés à l’étranger et recherchés sous l’accusation bien commode de « corruption ».
Face à cette violation manifeste de la souveraineté des États, la réponse de la France est encore bien timorée, comme le déplore le sénateur André Gattolin, qui interpela en décembre 2022 le gouvernement sur cette question avant de se retrouver lui-même au nombre des victimes d’une cyber-attaque visant en juillet 2023 une vingtaine d’organisations gouvernementales. « La Chine nous marche sur les pieds mais il ne faut surtout pas dire “Aïe !”. Il faut juste retirer son pied. » Les États-Unis, en revanche, n’hésitent plus à frapper fort, comme en avril dernier avec le démantèlement du « poste de police » de Manhattan. L’Américain d’origine chinoise qui était à sa tête risque la prison à perpétuité.
« Faire du business avec la Chine se paie très cher »
Pendant des décennies, les démocraties occidentales ne se sont guère méfiées d’une Chine qui savait leur faire les yeux doux et miroiter de fabuleux marchés. L’Europe et les États-Unis ont multiplié les partenariats industriels, scientifiques et vu fleurir avec bienveillance des associations d’« amitié » liées à la diaspora et d’apparence bien inoffensives. Mais c’est finalement le poisson qui a attrapé le pêcheur et, après des années cordiales, l’heure est désormais au réveil. « Faire du business avec la Chine se paie très cher », confie Joshua Skule, ex-directeur du FBI. Et Nicholas Eftimiades, spécialiste du Guoanbu, d’ajouter : « Quand les Chinois parlent de gagnant-gagnant, vous pouvez être sûr que c’est gagnant deux fois pour eux. » Il faut dire aussi que, majoritairement préoccupées par la menace du terrorisme islamiste, les agences de renseignement ont longtemps sous-estimé le risque représenté par les ambitions hégémoniques de la Chine. Ces services considèrent désormais les espions chinois comme la menace la plus importante en matière d’ingérence étrangère.
L’empire du Milieu a en effet annoncé il y a déjà dix ans son ambition de se dissocier de l’Occident et de le supplanter. L’objectif « Made in China 2025 », adopté par Pékin en matière de stratégie économique, vise rien moins qu’à faire de la république populaire la première puissance mondiale dans 10 secteurs clés, notamment l’aéronautique. Or, la Chine a pris du retard – la mise en service du C919, son premier moyen-courrier, ne cesse d’être retardée – et a dû se tourner vers l’équipementier français Safran, fabricant de moteurs d’avions, notamment pour Airbus. Côté face : un accord commercial en bonne et due forme. Côté pile : une opération de piratage informatique en vue de voler au constructeur ses secrets technologiques grâce à l’implantation d’un virus espion dans son réseau informatique. L’affaire a révélé le redoutable savoir-faire de la 8e division du Guoanbu, dirigée par Xu Yanjun, et permis à la CIA de faire le lien avec des cas similaires survenus aux États-Unis, notamment chez General Electric, et in fine de monter un superbe piège et un joli coup de filet : Xu a été arrêté en avril 2018 à Bruxelles et condamné à vingt ans de prison.
Désormais se déroule en coulisses un immense jeu d’échecs où chacun tente de prendre des pièces à l’autre. Les deux ex-agents de la DGSE, finalement condamnés en 2020 pour trahison au profit de la Chine, furent en leur temps d’assez belles prises. La partie ne fait que commencer puisque l’enjeu, au-delà de l’espionnage industriel, est de déstabiliser les démocraties occidentales et de faire de la Chine la première puissance commerciale, technologique, militaire et diplomatique de la planète à l’horizon 2049, année du centenaire de la création de la République populaire…
Ce documentaire sera suivi d’un débat présenté par Mélanie Taravant avec :
- Paul Charon, directeur du domaine renseignement, anticipation et menaces hybrides de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire du ministère des Armées ; coauteur de l’ouvrage Les opérations d’influence chinoises, un moment machiavélien (Éditions des Équateurs) ;
- Nolwenn Le Fustec, réalisatrice du documentaire ;
- Pierre Haski, chroniqueur géopolitique, spécialiste de la Chine ;
- Bernard Barbier, ancien directeur technique de la DGSE de 2006 à 2014.
Le Monde en face – Chine : opérations secrètes
Documentaire (70 min – 2024 – inédit) – Un film de Nolwenn Le Fustec et Antoine Izambard – Réalisation Nolwenn Le Fustec – Production EverProd – Avec la participation de France Télévisions
Diffusion dimanche 3 mars à 21.05 sur France 5
À voir et à revoir sur france.tv