« Charlie Chaplin, le génie de la liberté » : le premier portrait de Charlot tout en archives
Porté par la voix de Mathieu Amalric, le documentaire de François Aymé et Yves Jeuland se veut la référence sur la vie et l’œuvre de l’artiste le plus populaire du XXe siècle. Un portrait qui a bénéficié de trois ans de recherches et propose des scènes d’anthologie, des séquences inconnues et des trésors puisés dans les archives du monde entier. Vendredi 29 décembre à 22.05 sur France 5.
Entretien avec Yves Jeuland et François Aymé, les auteurs du film
Pourquoi un film sur Chaplin ? Pourquoi encore un film sur Chaplin ?
Yves Jeuland : En 2017, François et moi sortions d’une collaboration heureuse – et plutôt nouvelle pour moi qui n’ai pas l’habitude de travailler en binôme – avec Un Français nommé Gabin (France 3). Le film a rencontré un certain succès, aussi bien au moment de sa diffusion que dans les festivals, il a reçu du Syndicat français de la critique de cinéma et du film de télévision le prix du meilleur documentaire, c’était un bel encouragement. Il y avait une envie commune de retravailler ensemble. Nous venions de consacrer plusieurs années à l’acteur le plus emblématique et le plus populaire en France au XXe siècle, alors – peut-être dans un moment de mégalomanie –, nous nous sommes dit « Allons au-delà ! Plus rien ne nous fait peur, attaquons-nous à l’artiste le plus populaire au monde ! »
François Aymé : J’ajouterais : l’envie aussi de retrouver l’équipe constituée autour du Gabin – les producteurs Michel Rotman et Marie-Hélène Ranc, la monteuse Sylvie Bourget, la documentaliste Aude Vassallo, le graphiste Gaël Baillau… – et de réitérer deux partis pris très forts que nous avions développés sur ce précédent documentaire. D’une part, ne serait-ce que pour le plaisir de les voir et de les (re)découvrir, laisser la plus grande place aux extraits de films (cela a l’air évident quand on fait le portrait d’un acteur ou d’un cinéaste mais le rythme de certains montages amène souvent à sacrifier ces extraits, qui par ailleurs coûtent très cher) ; d’autre part, tisser ensemble trois fils narratifs : l’histoire d’un homme, l’histoire du cinéma, l’Histoire tout court. Et mieux encore qu’avec Gabin, cela fonctionne merveilleusement avec Chaplin, dont l’un des traits de génie est d’avoir compris très vite, à sa manière propre, certains grands moments historiques – le fordisme, la montée du nazisme… –, d’avoir saisi l’esprit du temps, de l’avoir anticipé, modifié, parfois d’y avoir résisté. C’était en tout cas l’approche – inédite à mon sens, concernant Chaplin – qui nous semblait la plus à même de rendre compte à la fois de son travail artistique, de ses rapports avec l’histoire mais aussi de sa vision politique et sociale.
Y. J.: Il n’empêche, ce projet avait de quoi nous intimider. Chaplin, au fond, est hors catégories. C’est le critique Louis Delluc qui disait que sa notoriété ne peut être comparée qu’à celle de Jésus-Christ ! François a lu plus de livres que moi sur Chaplin, mais il est impossible de les lire tous – il doit y en avoir davantage que sur Napoléon Bonaparte. En revanche, je crois que nous avons regardé l’intégralité des nombreux documentaires consacrés à Chaplin depuis sa mort et même avant. Il y en a d’assez mauvais, d’autres très bons, certains font même encore autorité, comme le Chaplin inconnu (1983) de Kevin Brownlow et David Gill (dont le commentaire français a été dit par Pierre Tchernia). Mais, aussi étonnant que cela paraisse, on n’avait jamais consacré à Chaplin un film entièrement composé d’extraits et d’archives, préférant privilégier le traditionnel défilé des témoins, des collaborateurs, des proches… remplacés au fil du temps et à mesure qu’ils disparaissaient – Chaplin est né au XIXe siècle – par des biographes, des critiques ou des universitaires.
Existe-t-il une institution qui veille sur l’héritage artistique de Chaplin et avez-vous pu bénéficier de son aide ?
F. A. : Effectivement, les descendants de Chaplin – à commencer par les enfants de sa dernière épouse, Oona – sont représentés à Paris par le Bureau Chaplin, qui fait le lien avec les sociétés détentrices des droits des œuvres et de l’image du cinéaste. Nous avons été en contact étroit pendant toute la préparation du film avec Kate Guyonvarch, qui dirige ce Bureau, et qui nous a fait bénéficier de son excellente connaissance de la documentation. Mais il faut souligner que cette situation, nous la devons à Chaplin lui-même : en créant United Artists et ses propres studios, il a pu devenir le propriétaire des droits de ses films (à l’exception de La Comtesse de Hong-Kong) et a fait en sorte que ces droits demeurent attachés à une structure familiale unique. C’est dire si Chaplin, qui fut un génie artistique, fut aussi un génie économique, qui a su défendre ses intérêts et les faire fructifier.
Y. J. : Cela a été une grande chance pour nous de pouvoir travailler main dans la main avec le Bureau Chaplin. Cela a d’ailleurs contribué à l’aspect ludique qui nous animait, Aude Vassallo, notre documentaliste, et moi. Je lui envoyais des demandes par courriels marqués « Wanted » et elle se mettait à faire des recherches dans les archives. Vous pouvez imaginer notre fierté quand nous mettions la main sur une image que Kate Guyonvarch ou Serge Bromberg (de Lobster, coproducteur du film) ne connaissaient pas !
Cela paraît extraordinaire que l’on puisse aujourd’hui encore trouver des documents nouveaux sur Chaplin…
Y. J.: Nous avons commencé ce projet en nous demandant si nous pourrions tenir le défi du tout-archives : Chaplin est né avec le cinéma et il n’a bien évidemment pas été filmé enfant. Mais nous avons dû rapidement faire face à un problème de riches : nous croulions sous les documents, notamment des milliers de photos à inventorier, c’était vertigineux. C’est le syndrome de l’Himalaya que j’évoque souvent : plus on avance, plus le but semble s’éloigner. Aude parlerait sans doute mieux que moi de cet aspect mais notre projet a bénéficié de plusieurs avantages. Sa longueur – trois années –, qui permettait de faire un travail de recherche très approfondi. Mais aussi un champ de recherche de documents qui s’est extraordinairement élargi et affiné, notamment grâce à Internet, et qui fait apparaître des photographies, des coupures de presse, des films, même, qui avaient échappé aux investigations il y a dix, vingt, trente ans… Nous avons donc des images inédites, d’autres qui sont peu connues, étonnantes. Mais je suis souvent surpris, depuis que je réalise des documentaires, quand des gens – parfois même des historiens – me disent : « Incroyable, ces images, on ne les a jamais vues ! » Parfois, c’est vrai, et j’en suis très content. Mais, parfois, il s’agit d’images qui avaient été montrées recadrées, colorisées, étouffées par un commentaire trop bavard ou un montage trop rapide. Découvrir ou redécouvrir certaines images tient souvent à la manière de les faire respirer… Enfin, dernière chose, très importante : les extraits de films de Chaplin, sans être inédits, ont parfois un caractère de nouveauté. Nous avons l’avantage d’être le premier documentaire complet réalisé après le centenaire de Charlot en 2014, qui a donné lieu à une très vaste entreprise de restauration : les cinémathèques du monde entier ont rassemblé les meilleures copies des courts-métrages afin d’établir pour chacun d’eux une copie de référence composée des meilleurs fragments. Et cela ne s’arrête pas, puisque Lobster Films, qui restaure de nombreux films, continue de mettre la main sur des bobines. Un exemplaire de Charlot nudiste (His Prehistoric Past), de bien meilleure qualité que ce dont nous disposions auparavant, a même été retrouvé pendant que nous étions en montage. Évidemment, nous l’avons utilisé. En somme, on peut dire que nous montrons les films de Chaplin dans la meilleure définition disponible aujourd’hui.
En dépit de votre accord sur les principes de construction et de narration du film, aviez-vous, en entamant ce projet, l’un et l’autre « le même Chaplin » ?
F. A. : En ce qui concerne la dimension historique et politique de l’homme, c’est certain. Sur le plan artistique, il y a des nuances d’appréciation, des discussions mais pas de désaccords. Et puis, même si nous n’avons pas forcément les mêmes « films de chevet », nous avons le même rapport intime à Chaplin, il fait partie de notre enfance, de nos références, de notre univers professionnel. Yves a eu, comme beaucoup, un déguisement de Charlot quand il était gamin, je suis directeur de cinéma et je passe chaque matin devant une silhouette de Charlot pour me rendre à mon bureau, et d’ailleurs l’une des salles du Jean-Eustache, à Pessac, porte le nom de Chaplin…
Y. J. : Le long-métrage préféré de François est Le Kid, le mien Les Lumières de la ville, mais ce sont des détails. Un point, tout de même me revient, parmi nos discussions : le fait que Chaplin ait refusé de prendre la nationalité américaine. (Comme Gabin, du reste, a refusé de le faire, contrairement à Jean Renoir, qui pourtant a résidé aux États-Unis bien moins longtemps que Chaplin.) François semble penser que c’est parce que Chaplin, au fond, est demeuré un citoyen britannique, très attaché à l’Angleterre. Pour moi, il est plutôt un internationaliste, un apatride, sans doute parce que j’ai envie qu’il ressemble à son personnage de vagabond.
F. A. : C’est un point que j’aurais aimé développer davantage – mais nous manquions de place. Il y a un fil rouge dans ce film : celui du courage, de l’audace, du culot… En 1918, Chaplin réalise une comédie sur la guerre ; dans La Ruée vers l’or, il met en scène des personnages qui crèvent de faim et sont prêts à s’entretuer ; puis vient la critique du travail à la chaîne, la satire d’Hitler… Il ne se plie pas à l’introduction du cinéma parlant, refuse longtemps le Cinémascope. Il se donne le droit de devancer ou de refuser les usages en cours, c’est lui qui décide. Et tout comme il est maître du scénario, de la réalisation, du choix des comédiens, de la production, il est aussi maître de son destin. Fritz Lang, Marlene Dietrich, Alfred Hitchcock, tant d’autres encore ont pris la nationalité américaine comme une sorte d’évidence, lui a maintenu son indépendance en dépit des pressions. Et l’opinion publique américaine ne le lui a pas pardonné. En plus de l’accuser d’être un communiste, elle lui a reproché de manquer de reconnaissance, de s’être enrichi grâce à Hollywood (Chaplin savait très bien que Hollywood avait également prospéré grâce à lui et aurait tout aussi bien pu lui en être reconnaissant). Cela étant dit, rien de tout cela ne s’oppose à l’explication que privilégie Yves – et qui était aussi une réponse avancée par Chaplin lui-même –, l’aversion pour toute forme de nationalisme et la défense d’une citoyenneté au sens large. Et puis, il y a aussi l’explication qu’avançait Charles Chaplin Jr. (le fils aîné) selon laquelle son père redoutait en secret de se plier, pour obtenir la nationalité américaine, à des tests de culture générale, de langue, etc., lui qui n’avait pas fait d’études et a toujours nourri un fort complexe, notamment en ce qui concerne sa maîtrise du langage écrit.
Ce Chaplin mal à son aise, on le voit, d’ailleurs, dans certaines des archives que vous montrez…
Y. J.: Dans les films amateurs que l’on possède, les films tournés par des amis, les films de famille, etc., il fait quasiment toujours le pitre devant la caméra : on sent qu’il est constamment en représentation, qu’il fait ce qu’on attend de lui, et on ne peut s’empêcher de penser qu’il tente d’échapper aux postures et aux conversations sérieuses. C’est d’ailleurs très émouvant : que ce soit dans les années 1920 ou lorsqu’il est octogénaire, il fait toujours la même chose. J’avais même pensé faire un bout-à-bout de toutes ces pitreries et le monter en parallèle avec des extraits de ses films pour montrer que ce sont ses mêmes trucs de clown.
F. A. : Toute sa vie – et cela ressort en particulier de son autobiographie – Chaplin a été extrêmement impressionné par les personnalités politiques, intellectuelles, artistiques qu’il a croisées, notamment quand il voyage en Europe au début des années 1930. On peut même parler de complexe social chez lui. C’est comme s’il n’avait pas conscience que son génie artistique lui a ouvert les portes de ce monde où il ne se sent pourtant pas vraiment à sa place.
Y. J. : Il y a une autre chose troublante : les fréquentations de Chaplin, c’est un peu Point de vue, images du monde : des grands bourgeois, des nobles et des princesses. À quelques exceptions près – Einstein, Wells, quelques autres –, ce sont des gens qui sont radicalement à l’opposé de ses convictions humanistes et progressistes et qui, malgré leur admiration, le tiennent pour un « rouge ». C’est un des paradoxes de Chaplin : défendre le petit peuple et fréquenter le grand.
Ce qui est certain, c’est que dans le domaine artistique, en revanche, Chaplin ne souffre d’aucun complexe et se sent parfaitement à sa place, précoce, sûr de lui et visionnaire…
F. A.: Il est né avec le cinéma et il est là au bon moment, on peut dire qu’il est l’un de ceux que le cinéma, à ses débuts, attendait. Ça, c’est la chance. Mais ensuite, c’est lui qui provoquera par son audace les bons moments. Il engage un bras de fer avec ses producteurs pour devenir réalisateur… à 25 ans, et après seulement trois mois d’activité et une quinzaine de courts-métrages ! À 32 ans, il est son propre producteur. Et pas le plus petit. Il est le roi. Et même quand il se trouve en décalage – l’avènement du parlant –, il fait ce qu’il veut. Toute sa vie, ce sont des coups de poker et la conquête de la liberté (qu’il perdra en grande partie dans ses tout derniers films). Artistiquement et économiquement, c’est un cercle vertueux : plus il a de l’argent et plus il est libre, plus il investit dans son art, ses films en sont encore meilleurs et lui rapportent plus d’argent et de liberté, etc. En somme, la chance, l’audace et l’indépendance au service de la liberté artistique.
Propos recueillis par Christophe Kechroud-Gibassier
Mathieu Amalric : « Une voix qui vous accompagne dans la rêverie »
C’est le quatrième film d’Yves Jeuland auquel vous prêtez votre voix. On peut commencer à parler de fidélité…
Mathieu Amalric: Vous savez, je ne fais ces choses-là que quand je suis en amitié et – ce qui est la même chose – en admiration pour quelqu’un. Et aussi pour apprendre, par appétit de connaissances. Avec Yves, c’est très particulier parce que ça commence par une maquette que je reçois, avec sa voix. C’est par sa voix que je découvre un film et que je suis touché. Il fait des films généreux, didactiques dans le bon sens du terme, c’est-à-dire des films de partage, mais qui sont aussi très personnels. Dans celui-ci, on est véritablement en immersion dans la vie et l’œuvre de Chaplin. Pas de spécialistes, pas de « têtes parlantes », uniquement des extraits des films de Chaplin, des images de sa vie intime et puis sa musique. Il y est question du courage artistique et politique d’un génie. Et pourtant, je retrouve Yves à chaque plan. Son humour, son engagement de citoyen et même ses passions – il est parvenu à faire figurer Yves Montand, qu’il adore ! Alors, pour moi, ce commentaire, c’est vraiment Yves qui parle, ou qui parfois dialogue avec Chaplin. Et ça, c’est l’amitié : je suis très ému qu’il ait envie, qu’il se sente bien avec l’idée que je prête ma voix à la sienne. Et vous vous rendez compte, dans le générique, il a mis sur le même carton : « Voix de Mathieu Amalric. Musique de Charlie Chaplin » ! Ça me bouleverse.
Prêter sa voix à un réalisateur, quel lien cela a-t-il avec le travail de comédien ?
M. A.: Je ne sais pas très bien, au fond. Quand je travaille par exemple sur Freud, un juif sans dieu de David Teboul* ou sur Vie et destin du Livre noir de Guillaume Ribot**, c’est très différent : il s’agit pratiquement d’interpréter Sigmund Freud ou Vassili Grossman en lisant leurs lettres. Avec Yves, je ne suis pas certain que ça m’aide véritablement, d’être comédien (si tant est que je le sois… je n’ai jamais appris à jouer). Mais enfin, il y a tout ce travail qui consiste à préparer la fluidité, les liaisons, les pauses, à repérer les endroits où reprendre son souffle… Je répète à haute voix, parfois en m’enregistrant (ne le dites pas à Yves, il ne le sait pas). Et puis, quand j’ai l’impression de ne pas en savoir assez, j’appelle Yves pour qu’il m’explique ou même me raconte ce qui n’est pas dans le film. Ça se sent, quand une voix ne sait pas de quoi elle parle, elle a l’air plaquée. Ce qui est merveilleux avec Yves, c’est qu’il est très pointilleux. On a eu des discussions pour décider s’il fallait dire « Chârles Chaplain » ou bien « Tcharlie Tchapline ». Pour Doug(las) Fairbanks, je prononçais « Dog » et ça l’embêtait, il tenait à « Dougue » (Yves est de Carcassonne)… Le « Dougue » de son enfance (rire). Au fond, comme Yves enregistre lui-même la maquette de son commentaire, c’est comme les chansons de Cole Porter, c’est très agréable à reprendre parce que c’est écrit pour l’oral. Après cela, il s’agit de tout oublier : l’enregistrement, c’est comme de l’improvisation préparée, comme du jazz. Nous étions trois en studio, Yves, moi et l’ingénieur du son Léon Rousseau, qui est un spécialiste de la restauration sonore des films chez Lobster et aussi un musicien. Je tiens vraiment à le mentionner parce qu’il a fait un travail remarquable. Nous avons pris le temps, et c’était de grands morceaux de texte, comme j’aime, parce que cela permet de trouver un flux, une détente, un plaisir…, d’atteindre cet état dans lequel sont les conteurs, et cette voix qui ne s’entend pas, qui vous accompagne dans la rêverie, qui vous invite à penser par vous-même.
Et votre Chaplin à vous ?
M. A.: Comme tout le monde, c’est d’abord l’enfance. Ce qu’on aime ce vagabond ! Ce qu’on aime ce type qui résiste face à l’injustice ! Ce sont des émotions particulières : enfant, on ne pleure pas devant Le Kid, on s’émerveille. On rêve d’avoir d’autres parents que ceux que l’on a et, justement, on se dit que ce serait chouette, d’avoir un papa comme ça… Ensuite, Chaplin, ça a été la découverte de la mise en scène. Ce passage des Lumières de la ville – qui est évoqué dans le film d’Yves – où la jeune vendeuse de fleurs aveugle prend Charlot pour un riche bourgeois et dont Chaplin a cherché pendant des mois la solution. Il y a consacré 300 prises ! Et c’est une trouvaille qui est à la fois élégante, efficace, paradoxale : représenter le son d’un claquement de portière de limousine dans un film muet grâce à un panoramique aller-retour. C’est éblouissant. C’est ce qu’on voudrait conserver à l’esprit quand on réalise des films : ce moment de pureté, ce moment de commencement où tout est à inventer. Quand vous vous lancez dans un film, vous savez que cela va être au minimum trois ans de votre vie, il vous faut un sang complètement neuf, vous débarrasser de tout ce que vous savez pour avoir l’illusion qu’il n’y a jamais eu de film avant cela ! Et puis, enfin, il y a l’acteur, qui est comme une sorte de repère auquel on revient sans cesse. Avant même de collaborer avec Yves, j’ai beaucoup revu Chaplin quand je préparais le dernier film des frères Larrieu, qui font, comme vous savez, un cinéma très physique. J’y joue un chanteur de rues, à moitié clochard, qui trimballe sa guitare électrique et son ampli (c’est une comédie musicale). Je devais me bagarrer avec Jalil Lespert, qui est ultra costaud, et même lui casser la gueule, vous imaginez ! Alors, je leur montrais des extraits de Chaplin en leur disant : « On pourrait essayer des trucs comme ça. » Dès qu’il est question du corps au cinéma, il y a Chaplin. Et pas seulement parce que ce type était irrésistible de beauté. Parce qu’il est le comédien-athlète au travail. C’est très beau, ce passage où Yves a mis bout à bout ces fameux virages à cloche-pied. Chaplin n’était pas seulement un génie, c’était aussi ce gosse abandonné qui a bossé comme un damné sa technique, ses gammes pour être au sommet de son art.
* Arte, 2019.
** France 5, 2020.
« Charlie Chaplin, le génie de la liberté », en résumé
Depuis plus d’un siècle, tout le monde connaît et tout le monde aime Charlie Chaplin. Tout le monde, dans le monde entier. Génie du burlesque, Chaplin a mis son talent au service d’un idéal de justice et de liberté. Son meilleur scénario fut celui de son propre destin, un destin qui s’inscrit dans l’histoire politique et artistique du XXe siècle.
Après Un Français nommé Gabin (France 3, Prix du Syndicat français de la critique, meilleur documentaire 2017), François Aymé et Yves Jeuland se retrouvent avec le même plaisir pour ce nouveau film qui pourrait bien devenir l’œuvre de référence sur la vie de l’artiste le plus populaire et le plus complet du siècle dernier : Chaplin acteur et auteur, réalisateur et producteur, compositeur et chorégraphe… Son indépendance financière sera la clef de sa liberté artistique et de son engagement humaniste.
Porté par la voix de Mathieu Amalric, avec une écriture précise, vivante et détaillée, Charlie Chaplin, le génie de la liberté est le premier documentaire tout archives consacré à Charlot. Trois années de recherches et onze mois de montage pour ce film de deux heures vingt-cinq, nourri de scènes d’anthologie issues de ses plus grands chefs-d’œuvre et de séquences plus surprenantes, parfois inconnues et tout aussi réjouissantes ; de véritables trésors puisés dans des dizaines de sources d’archives à travers le monde. Le plaisir conjugué de la découverte et des retrouvailles. Le portrait d’un artiste subversif dont le personnage intemporel et universel de Charlot est l’une des figures emblématiques de notre histoire.
Documentaire (2020 - inédit - 2 h 25) - Écrit par François Aymé et Yves Jeuland - Réalisation Yves Jeuland - Montage Sylvie Bourget - Documentation Aude Vassallo - Graphisme Gaël Baillau - Musiques de Charles Chaplin - Avec la voix de Mathieu Almaric - Production Kuiv - Producteur associé Lobster Films - Production exécutive Marie-Hélène Ranc - Avec la participation de France Télévisions,de TV5 Monde et Ciné+
Sélection officielle Festival de Cannes 2020, Cannes Classics / Festival Lumière, Lyon, Lumière Classics
Diffusion vendredi 29 décembre à 22.05 sur France 5
Charlie Chaplin, le génie de la liberté est à voir et à revoir sur france.tv