Au cœur du système : « Le Parti, la Chine sous emprise »
Organisation politique la plus puissante de la planète, le Parti communiste chinois est aussi la plus secrète. Pour la première fois, des témoins de l’intérieur en dévoilent les rouages, dans les coulisses d’une « boîte noire » où le capitalisme sans limites tutoie le totalitarisme et les aveux forcés. Un documentaire suivi d’un débat dans « Le Monde en face » : à voir le dimanche 15 janvier à 20.55 sur France 5.
Miles Yu, conseiller Chine auprès de l’administration Trump (2016-2020)
Il n’existe aucune autre entité plus puissante et plus omnipotente dans la vie chinoise que le Parti… Vous ne pouvez pas lui désobéir.
Ses dirigeants, Xi Jinping en tête, ont gardé en héritage le culte du secret, l’obsession du contrôle et la paranoïa comme raison d’être. De l’ouverture économique de la fin des années 1980 jusqu’au cauchemar du « zéro covid », ce film dresse – grâce aux histoires de ceux qui y ont été confrontés – le portrait du Parti communiste chinois, aux quatre-vingt-quinze millions de membres.
L’événement a marqué un tournant historique : l’enlèvement de cinq libraires, à l’automne 2015, à Hong Kong. Il signe le début de la fin des libertés pour le peuple de l’île, sous contrôle chinois depuis 1997. Huit mois plus tard, les disparus réapparaissent à la télévision chinoise d’État, pour une séance de confession forcée. On les accuse d’avoir vendu sur le sol chinois des livres interdits par la censure. Lam Wing-kee est l’un d’entre eux. « Ces livres, je les ai vendus pour l’argent bien sûr, mais aussi pour que les gens en Chine puissent un peu mieux comprendre ce qu’il se passe chez eux. » Un crime de lèse-majesté pour le tout-puissant Parti communiste chinois et son dirigeant, Xi Jinping, le plus puissant depuis Mao.
Longtemps Cai Xia, ancienne professeure de l’École centrale du Parti communiste chinois, a enseigné à ses cadres. « Pendant toutes ces années, j’ai travaillé au cœur du système politique chinois : je connais ce monde de l’intérieur. » Son témoignage exceptionnel, ainsi que celui de ceux – chinois ou étrangers – qui ont subi son implacabilité et sa violence éclairent de l’intérieur cette organisation au fonctionnement obscur. « Le Parti s’inscrit dans la tradition de ces paysans qui entrent en guérilla au nom d’une cause juste, raconte Cai Xia. Il vient donc de ce monde, que nous appelons en Chine, des hors-la-loi : celui des sociétés secrètes. Dès le départ, le Parti communiste a fonctionné comme une organisation clandestine et, depuis, sa manière de fonctionner n’a guère changé. » Le plus grand secret entoure le renouvellement, tous les cinq ans, des plus hautes instances du Parti, constitué de quatre-vingt-quinze millions de membres. Une organisation pyramidale, avec le Comité central (200 personnes), supervisé par le Bureau politique (25 membres). Et, à sa tête, le Comité permanent, où siègent sept à neuf personnes sous le contrôle du secrétaire général. Une organisation héritée du système soviétique.
Capitalisme, corruption et guanxi
L’entrée de la Chine à l’OMC en 1999 fait basculer le pays dans le capitalisme, mais le Parti conserve ses méthodes.« Le Parti utilisait la contrebande pour stimuler l’activité économique »,explique Cai Xia. Un âge d’or pour des millions de Chinois qui s’enrichissent, et pour la corruption au plus haut sommet du pouvoir. « Pour faire des affaires, vous êtes immédiatement confronté au Parti. » L’homme d’affaires Desmond Shum, né à Shanghai, sait de quoi il parle. Revenu sur le sol chinois en 1997, après avoir vécu à Hong Kong et étudié aux États-Unis, il fait fortune, au début des années 2000, avec sa femme, « déjà très douée pour naviguer dans les réseaux et le guanxi… Pour chaque contrat, vous avez besoin d’une multitude d’autorisations. Vous devez vous mélanger à eux et danser avec eux : ça, c’est le guanxi. » Leurs connexions au plus haut niveau – la femme du Premier ministre Wen Jiabao, « Tatie Zhang » – vont leur permettre d’obtenirun contrat en or à la veille des JO de Pékin, et de devenir l’un des couples les plus riches du pays. En contrepartie, « Tatie Zhang » prélève 30 % de leurs profits. Car les premiers bénéficiaires de ce vaste système de corruption sont les aristocrates rouges, c’est-à-dire les héritiers des fondateurs du régime.
Mais, en septembre 2012, le scandale explose dans le New York Times, qui dévoile par le menu ce réseau qui a accumulé plusieurs dizaines milliards de dollars. C’est le début de la chute pour le couple et tout le système est ébranlé.
Xi Jinping, l’autocrate
L’homme qui arrive au pouvoir quelques semaines plus tard promet un assainissement du Parti. « Le grand coup de force de Xi Jinping, c’est la campagne anti-corruption, expliqueMike Forsythe, journaliste d’investigation au New York Times. Il était déterminé : il voulait chasser les tigres et les mouches. » Petits fonctionnaires mais aussi très hauts dirigeants, comme le chef de la police, sont arrêtés : « Cela n’était pas arrivé depuis la Révolution culturelle », rappelle Desmond Shum. La purge fera trois millions de victimes.
Mais Xi Jinping va plus loin, en créant une super police politique qui vise tous ceux qui s’opposent au Parti. « Il est venu nous interdire tout désaccord avec la ligne du Comité central, se souvient Cai Xia.J’ai trouvé que ses paroles ressemblaient plus à celles d’un gangster qu’à celles d’un dirigeant du Parti chinois. »Disparitions et confessions forcées à la télévision deviennent systématiques : « Avec ce nouveau système de disparition mis en place par Xi Jinping, estime Peter Dahlin, militant des droits de l’homme, on estime que trente à cinquante personnes s’évaporent chaque jour en Chine, et ce chiffre ne cesse d’augmenter. » À partir de 2017, les milliardaires deviennent une nouvelle cible. C’est à ce moment que la femme de Desmond Shum disparaît. « Avec Xi Jinping, tout est devenu dangereux et imprévisible. »
Où sont emmenés les disparus ? L’enquête de François Bougon et Walid Berrissoul montre comment les centres de détention, officiellement inexistants et invisibles, prolifèrent sur tout le territoire chinois ; comment le Parti traque opposants et dissidents – chinois ou étrangers – jusqu’au-delà des frontières ; ou encore comment, pendant la crise du covid, le Parti a renforcé son emprise sur le peuple… qui a bien du mal à contenir sa colère.
Extraits
« Une fois entré dans le Parti, il est impossible de le quitter. C’est une sorte de prise d’otages. »Cai Xia, ancienne professeure de l’École centrale du Parti communiste chinois
« C’est un trou noir : il est là, il est puissant et, à tout moment, il peut vous dévorer. »Miles Yu, conseiller Chine auprès de l’administration Trump (2016-2020)
« À la fin, c’est toujours le Parti qui gagne ! » Desmond Shum, homme d’affaires
« Xi Jinping est devenu un chef mafieux. » Cai Xia, ancienne professeure de l’École centrale du Parti communiste chinois
« Il est très puissant, il est encore plus dur et intraitable que Kim Jong-un et Poutine. Il n’a qu’une priorité : c’est de concentrer tout le pouvoir entre ses mains. »Ho Pin, journaliste chinois, en exil aux États-Unis
Le Monde en face : Le Parti, la Chine sous emprise
Présentation Mélanie Taravant
Documentaire(75 min - 2022) — Auteurs François Bougon et Walid Berrissoul — Réalisateur Walid Berrissoul — Production Maximal Productions, avec la participation de France Télévisions
Le Parti, la Chine sous emprise est diffusé dans Le Monde en face dimanche 15 janvier à 20.55 sur France 5
À voir et revoir sur france.tv