« 1983, les marcheurs de l’égalité »

La Case du siècle

Décembre 1983, un cortège de plus de 100 000 personnes défile à Paris entre Bastille et Montparnasse. Ce rassemblement itinérant, qui a discrètement débuté un mois et demi plus tôt à Marseille, s’est étoffé au fur et à mesure des villes traversées. Quarante ans plus tard, les protagonistes de cette marche symbolique pour l’égalité et leurs proches reviennent sur cet événement gravé dans la mémoire collective. Un documentaire à découvrir dimanche 3 décembre à 22.40 sur France 5.

« 1983, les marcheurs de l’égalité ». © Flair Productions

 

La marche pour l’égalité et contre le racisme, surnommée « marche des Beurs », est un mouvement sans précédent, qui débute le 15 octobre 1983 et s’achève le 3 décembre de la même année. Ce rassemblement inédit est un véritable un cri de révolte de la part notamment de la première génération d’enfants d’immigrés nord-africains. La réalisatrice, Nina Robert, propose de revenir sur cet événement. 

Les marcheurs de l'égalité
« 1983, les marcheurs de l'égalité ».
© Flair Productions

Été 1983, voilà deux ans que François Mitterrand a remporté l’élection présidentielle. Les attentes sont nombreuses et une certaine tension est palpable dans plusieurs banlieues de France, notamment aux Minguettes (commune de Vénissieux, près de Lyon). La raison ? L’année est marquée par de nombreuses bavures policières passées sous silence et plusieurs crimes racistes restés également impunis. La communauté maghrébine en est la première victime…

Des meurtres, on en a vu beaucoup et on commençait à avoir peur… Dans notre esprit, il y avait une frontière, donc on essayait de ne pas trop la franchir de peur de se trouver dans ce genre de situation, un mauvais contrôle, etc. Il y avait tous les trois, quatre jours quelqu’un qui se faisait abattre.

Djamel Attalah

Avant la marche, la plupart des procès n’allaient même pas aux assises, ils étaient correctionnels quand un jeune homme était tué.

Marie-Lauta Mahé 

Cette tension atteint son paroxysme lorsque Toumi Djaidjai, militant associatif de SOS Avenir Minguettes, qui se bat pour des questions de droit au séjour, est atteint d’une balle dans le ventre par la police. La situation s’envenime, les cités s’embrasent – incendies de voitures, dégradations urbaines, etc. Des affrontements entre les forces de l’ordre et les jeunes de quartier se font de plus en plus nombreux. 

J’avais pris conscience du racisme autrement. On ne nous regardait pas de la même manière. On ne nous considérait pas de la même manière. On ne nous voyait pas de la même manière… j’ai failli me faire tuer plusieurs fois.

Farid L’Haoua

Pour tenter d’en finir avec le racisme rampant du pays et les inégalités, celui que l’on surnomme alors « le curé des Minguettes », Christian Delorme, propose aux jeunes du quartier de s’inspirer de la « Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté » menée par Martin Luther King, quinze ans plus tôt aux États-Unis. L’objectif de cette marche était de faire pression sur le Congrès – pour que soit enfin voté le Civil Rights Act proposé par le président Kennedy le 28 février 1963. Ce mouvement avait rassemblé, le 28 août 1968, entre 200 000 à 300 000 Américains marchant en direction de la capitale fédérale pour soutenir l’égalité raciale. Le pasteur King, fervent défenseur des droits civiques, y avait délivré son fameux discours « I have a dream » – « J’ai fait un rêve » – devant le Lincoln Memorial. 

Le rêve de Martin Luther King ne s’est pas vraiment réalisé mais des bouts de ce rêve. Les lois ségrégationnistes aux États-Unis ont été supprimées mais le racisme a malheureusement perduré… Ce qui est important, c’est de faire vivre le rêve et de ne jamais renoncer à marcher.

Le père Christian Delorme

En France, en octobre 1983, l’idée est lancée, les jeunes issus des banlieues françaises s’organisent progressivement pour effectuer une marche similaire. Des revendications spécifiques émergent – une carte de séjour de dix ans, le droit de vote pour les étrangers et, bien entendu, dire stop au racisme.

Le mouvement de protestation commence timidement, après qu’un énième meurtre raciste, cette fois sur un enfant de 13 ans, a été commis. Une dizaine de jeunes du quartier de la Cayolle, à Marseille, débutent alors la marche, rejoints par d’autres jeunes gens des Minguettes. Aucun média ne couvre l’événement, mais, rapidement, le rassemblement prend de l’ampleur. Après une cinquantaine de villes traversées, il se termine à Paris en présence de nombreux partis politiques, hormis l’extrême droite. Différents syndicats, organisations humanitaires, institutions religieuses, juives, catholiques et musulmanes, prennent également part à la mobilisation.

D’histoires individuelles, on est passé à une histoire collective, d’une histoire collective, on est passé à un message et du message, on est passé à des actes et à un événement politique.

Farid L’Haoua

Même si la marche était un mouvement joyeux, un moment de rencontre…il y avait des moments de larmes… j’ai marché pour mieux vivre et permettre à des jeunes de ne pas mourir.

Hanifa Taguelmint 

Quarante ans plus tard, en quoi cette marche fait-elle encore particulièrement écho à notre société actuelle, toujours secouée par des questions de racisme, d’antisémitisme, de violences urbaines et policières… ?  

1983, les marcheurs de l’égalité

Les marcheurs de l'égalité
« 1983, les marcheurs de l'égalité ».
© Flair Productions

Documentaire inédit (52 min – 2023) – Un film de Nina Robert et Charlène De Varga – Réalisation Nina Robert – Production Flair Production Citizen Films 

La Case du siècle : 1983, les marcheurs de l’égalité est diffusé dimanche 3 décembre à  22.40 sur France 5
À (re)voir sur france.tv

Publié par Fanta Traore le 30 novembre 2023